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Jón Kalman Stefánsson, Le cœur d’un poète islandais.

Jón Kalman Stefánsson, Le cœur d’un poète islandais.

25 March 2013 | PAR Le Barbu

Né à Reykjavik en Islande en1963, Jón Kalman Stefánsson entame des études au collège, qu’il termine en 1982. Ensuite il travaille dans les secteurs de la pêche et de la maçonnerie jusqu’en 1986. Il entame jusqu’en 1991, sans les terminer, des études de littérature à l’université. Il donne des cours dans différentes écoles et rédige des articles pour un journal, à Copenhague. Il rentre en Islande et, jusqu’en 2000, il s’occupe de la Bibliothèque municipale de Mosfellsbaer. Depuis, il se consacre à l’écriture de contes et de romans. Seulement trois de ses romans sur six ont été traduits en français jusqu’à aujourd’hui. Le portrait de Jón Kalman Stefánsson que nous vous proposons s’articule autour de cette trilogie composée des ouvrages suivants : Entre ciel et terre (2010), La Tristesse des anges (2011), Le cœur de l’homme (2013), tous trois traduits par Eric Bourry, et parus chez Gallimard. Ces romans nous plongent dans des aventures où l’homme est aux prises avec l’hostilité glaciale, brutale et aveugle de la nature islandaise, mais aussi tourmenté par ses démons intérieurs.


« Certains mots sont probablement aptes à changer le monde, ils ont le pouvoir de nous consoler et de sécher nos larmes. Certains mots sont des balles de fusil, d’autres des notes de violon. Certains sont capables de faire fondre la glace qui nous enserre le cœur et il est même possible de les dépêcher comme des cohortes de sauveteurs quand les jours sont contraires et que nous ne sommes peut-être ni vivants ni morts. » (Entre Ciel et Terre de Jon Kalman Stefansson)

Les réflexions sur le sens de la vie, le poids des mots, l’absolu besoin d’amour et cette haine viscérale pour la mort font de cette trilogie un inoubliable moment de lecture.

Jón Kalman Stefánsson conjugue le récit d’aventure à la poésie du roman introspectif où chaque mot évoque avec justesse les grandes questions existentielles – le rêve, la douleur, la tristesse, l’absence, le passage du temps, l’éveil au désir, l’espoir d’une vie meilleure – aussi bien que la réalité de l’Islande rurale de la fin du XIXe siècle. Cette Islande est bestiale. Elle broie les hommes et les isole, mais elle les rend aussi forst, courageux et robustes. Qu’y a-t-il d’autre à faire dans ces contrées à part mourir ?

« L’homme meurt si on le prive de pain, mais il dépérit et se fane en l’absence de rêves. » (La tristesse des anges)

Quand on lit Jón Kalman Stefánsson on a l’impression de lire un poète qui fait de la fiction. Il a d’ailleurs commencé en écrivant et publiant des recueils de poèmes avant de faire des romans. Désormais les vers se glissent dans ses fictions. « De toute façon, à mes yeux, la frontière entre les deux disciplines est très poreuse, et disparaît même souvent. J’aime que ces deux mondes se rejoignent et s’entremêlent. C’est là que mon écriture rejoint la poésie : je laisse la porte ouverte à l’inattendu. »

Son écriture est riche et délicate. Elle est aussi fragile comme les hommes face à l’hostilité des éléments, face aux vagues grises de l’océan, face aux bourrasques glacées balayant une Islande rude et sauvage. Fragile comme la neige, cette fameuse Tristesse des anges, qui apaise tout. «  On dirait qu’elle porte en elle le silence ou, plutôt, que dans l’espace qui sépare deux flocons, entre les flocons, il y a le silence. » (La tristesse des anges)

La mer a aussi une très grande importance dans ses romans. On pourrait presque la considérer comme le personnage principal. « Etre islandais, c’est ne pas avoir de voisins. Une partie de votre caractère a été forgée par cette relation. Mais en Islande, le voisin, c’est l’océan. Jusqu’à une époque récente, les Islandais n’étaient qu’un peuple de marins et de fermiers qui devaient sans cesse affronter ce monstre, portés par leurs fragiles embarcations. Quand on passe sa vie à lutter contre une force aussi immense et aussi puissance, cela marque forcément le caractère. Elle a imprégné notre mentalité. En Islande, on ne peut pas échapper à la mer.»

Jón Kalman Stefánsson voue un amour sans bornes aux mots. Il ose écrire. Ses mots nous touchent, nous interpellent, nous font vibrer. Pendant la lecture de ses romans il est bon parfois de s’arrêter pour profiter des mots, pour se délecter de toute cette poésie qu’il nous distille avec talent. « On peut tout faire avec eux, changer la vie, changer le monde. Mais en même temps, arrive toujours un moment où ils sont impuissants. Les mots possèdent toute la terreur et toute la beauté du monde à la fois. C’est sans doute pour ça que j’en ai fait mon métier. »

Une trilogie à lire, et à relire absolument. Jón Kalman Stefánsson est le véritable coup de cœur de la rédaction, soutenu par un talent qui n’est pas à prouver. On aime, tout simplement. Et nous lui laissons les derniers mots de cet article.

« La vie est partout. Son cœur bat dans le vent, dans la neige, dans la mer. La plus grosse erreur de l’humanité consiste à tracer une ligne entre l’homme et la nature. Il y a un an, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajokull a paralysé la planète entière, alors que ça n’était qu’une toute petite éruption, un détail à l’échelle de la nature. Cet événement nous a remis à notre place, rappelant combien notre conception du monde était aberrante. Aujourd’hui nous ne jurons que par le dieu Technologie, nous croyons en lui, nous avons confiance en lui. Mais il suffit d’un petit sursaut de la nature et tout se détraque. Nous devons faire évoluer notre façon de penser et remettre la nature au cœur de notre vie. […] Je ne crois pas aux frontières, de manière symbolique comme de manière très concrète. Les frontières reflètent un mode de pensée limité, fermé, qui nous rend étroits d’esprit. C’est un schéma qui engendre la haine, alimente l’incompréhension et l’ignorance. Naïvement, j’écris des livres pour changer le monde. Or l’un des principaux problèmes de ce monde réside dans cette conception étriquée du territoire et de la séparation avec l’autre. »

 

Toutes les infos concernant cette trilogie de Jón Kalman Stefánsson :

Entre ciel et terre (2010) Gallimard/Folio

La Tristesse des anges (2011) Gallimard/Folio

Le cœur de l’homme (2013) Gallimard

Traduction : Eric Bourry.

http://www.gallimard.fr/Contributeurs/Jon-Kalman-Stefansson


Les propos de Jon Kalman Stefansson cités cet article ont été recueillis par Mikaël Demets lors du Salon du Livre à Paris en mars 2011 pour le site http://laccoudoir.com.

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Le Barbu
Le Barbu voit le jour à Avignon. Après une formation d'historien-épigraphiste il devient professeur d'histoire-géogaphie. Parallèlement il professionnalise sa passion pour la musique. Il est dj-producteur-organisateur et résident permanent du Batofar et de l'Alimentation Générale. Issu de la culture "Block Party Afro Américaine", Le Barbu, sous le pseudo de Mosca Verde, a retourné les dancefloors de nombreuses salles parisiennes, ainsi qu'en France et en Europe. Il est un des spécialistes français du Moombahton et de Globalbass. Actuellement il travaille sur un projet rock-folk avec sa compagne, et poursuit quelques travaux d'écriture. Il a rejoint la rédaction de TLC à l'automne 2012 en tant que chroniqueur musique-société-littérature.

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