Frédéric Gros dissèque les divers foyers de la sécurité
Après “États-de Violence -Essais sur la fin de la guerre” (2006), Frédéric Gros propose une nouvelle somme de théorie politique avec “Le principe sécurité”. Une construction impressionnante qui dégage 4 grands paysages de cette notion omniprésente pour parvenir à comprendre notre rapport d’aujourd’hui à la sécurité.
Professeur à Paris XII et à Sciences-po Paris, Frédéric Gros est spécialiste de Michel Foucault et cela se sent dans sa méthodologie. Empoignant fermement son sujet dès l’introduction, il commence par un rigoureux travail de définition qui lui permet de dégager ce qu’il appelle des “foyers de sens”, sortes de lieux condensant chacun la pensée et la pratique de la sécurité autour de certains thèmes et évoluent pour éclore l’un après l’autre au fils du temps : “Ces foyers de sens une fois embrasés, ont continué à être actifs, ou bien encore se sont déplacés” (p. 220). Pour la question de la violence, Frédéric Gros dégage “quatre paysages” : 1/ “La sérénité du sage” ou cette idée-force des écoles antiques (stoïciens, épicuriens, sceptiques) qu’en se préservant des souffrances sur lesquelles on n’a pas d’impact possible on se place à l’abri des tourments du monde. 2/” Le millénarisme” ou cette idée chrétienne de l’an mille et réactivée plus tard par le marxisme que l’approche de la fin des temps amènerait avant l’apocalypse une ère de grande sécurité. 3/ “L’État-Garant” où la naissance du “plus froid des monstres froids” (Nietzsche) repose chez tous les penseurs du contrat, de Spinoza à Rousseau en passant par Locke et Hobbes, sur la garantie de la sécurité. Si bien que “L’État devient la sécurité” (p.99) sous ses formes juridique, collective (internationale), policière et militaire. 4/ “La biosécurité” ou versant sécuritaire de l’apparition du biopouvoir et qui met en lumière des populations fragiles qu’il s’agit de protéger en régulant des flux de plus en plus difficiles à saisir. Et Frédéric Gros montre bien que l’apparition extrêmement inquiétante de cette dernière forme de sécurité, permet de mettre en lumière la nature même de cette notion, qui est “une conformité des choses à elles-mêmes et la stabilité psychique qui s’en déduit” (p. 219) si et seulement si l’on comprend que c’est toujours au bord de la catastrophe que l’on essaie de fixer cette conformité en déplaçant un pire encore et toujours à venir…
Dans une construction extrêmement rigoureuse, où l’on voit la réflexion en train de se faire, Frédéric Gros propose à la fois de véritables ballades dans l’histoire (la sécurité chez les stoïciens est un poème et le philosophe retrace l’ambiance du millénarisme et des croisades des pauvres avec d’immenses qualités littéraires), dans l’histoire des idées ( sa relecture de la naissance de l’État à l’aune de la sécurité est à la fois originale et stimulante) et dans un présent qui nous interpelle tous. Seul bémol : ceux et celles qui voudraient trouver des pistes de résistance aux impasses du principe sécurité dans le volume de Frédéric Gros risquent bien de rester sur leur faim. Alors même que le paysage qu’il peint de notre biosécurité est assez noir : le vivant y est infiniment fragile aussi parce que nous partageons tous, sans vraiment en être conscients, cette conviction que le marché assure la juste valeur des choses et donc qu’il est le dernier principe de sécurité avant (ou menant à?) la catastrophe. Mais même sans pistes d’action politique, ni appel à un retour à la sagesse de Sénèque, la maestria conceptuelle et les ressources historiques de ce volume devraient l’adouber très rapidement en classique de théorie politique.
Frédéric Gros, Le Principe sécurité, Gallimard, collection “nrf essais”, 302 p., 21 euros. Sortie le 4 octobre 2012.