Fictions
« L’Oiseau de pluie » de Robbie Arnott : Le calamar vampire et le héron translucide

« L’Oiseau de pluie » de Robbie Arnott : Le calamar vampire et le héron translucide

30 November 2022 | PAR Julien Coquet

Finaliste du Miles Franklin Literary Award 2021, le « Goncourt australien », L’Oiseau de pluie nous présente un monde au bord du gouffre dans lequel un héron de pluie est l’objet de toutes les convoitises.

L’Oiseau de pluie possède sûrement l’un des plus beaux incipits que vous lirez actuellement, celui d’une fermière en terre hostile, sauvée et ensuite châtiée par un héron mystérieux. Car c’est cet oiseau de pluie qui accompagnera le lecteur tout au long du roman, un mystérieux volatile qui a la faculté de faire la pluie et le beau temps, objet de poésie mais capable d’une grande violence. « Il émergea du lac d’un mouvement fluide, sans éclaboussure, volant à la verticale sans peine pour aller se poser sur une branche basse de l’arbre. Il enfouit son bec dans son aile, secouant l’eau de ses plumes par petits coups nets et efficaces. Il était tel que Ren se le rappelait, ou pensait se le rappeler : la même grâce éblouissante, la même transparence enveloppée de pluie. »

Ren a en effet déjà croisé l’oiseau lorsqu’elle était jeune. Maintenant, elle vit recluse en forêt, loin de toute civilisation et d’un coup d’État qui a mis le pays sans dessus dessous : « Elle redécouvrait le monde, un monde nouveau, sauvage et accueillant, et elle était si heureuse d’être venue ici, de vivre ainsi et de savoir qu’elle mourrait comme ça, seulement entourée d’arbres et de mousse, avec l’air pur qui soufflerait sur sa peau. ». La quiétude de Ren est mise à mal par l’arrivée de militaires, et particulièrement par la commandante Harker, une jeune femme qui force l’admiration par sa fermeté. Leur mission : capturer le héron de pluie. Sous la contrainte, Ren conduit le groupe de soldats jusqu’à l’envoûtant oiseau.

Robbie Arnott prend de grandes libertés pour conter son histoire, se permettant des détours, de longues descriptions, le retour de certains personnages. La grande force de L’Oiseau de pluie tient en sa croyance en l’imaginaire : le monde décrit fait peur, marqué par un violent coup d’État et le dérèglement climatique, mais il est également caractérisé par la luxuriance de la nature et par la beauté des animaux (on croisera également durant un long chapitre des calamars buveurs de sang). On sort émerveillé de ce livre, du rythme de la narration alternant violence et poésie. On se prend également à tisser des parallèles entre les personnages, tant ceux-ci ont des relations filiales et parentales particulières. On ne peut qu’applaudir Robbie Arnott, pour son deuxième roman, de nous proposer quelque chose de si original, et surtout de si beau.

« On était dans la troisième année après que j’avais ramené l’oiseau chez lui. Cet été-là, des millions de poissons ont été découverts florant à la surface du plus grand fleuve du pays, saturant les berges de chair pourrie. Des orages secs ont transformé des forêts autrefois humides en brasiers infernaux. Des feux de tourbes se sont déclarés dans les marais des plateaux, feux qui ne s’éteindraient peut-être pas avant des siècles. Quelques mois plus tard, le givre a détruit les racines des palmiers côtiers. Tant de choses étaient anéanties, petit à petit ou en épisodes fulgurants, et rien ne s’améliorait, et personne n’agissait suffisamment pour y remédier. À travers le carnage tranquille du monde, j’ai continué à avancer. »

L’Oiseau de pluie, Robbie ARNOTT, traduit de l’anglais par Laure Manceau, Editions Gaïa, 272 pages, 22,5 €

Visuel : © Couverture du livre

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