Fictions
Laure Heinich explore la justice dans « Corps défendus »

Laure Heinich explore la justice dans « Corps défendus »

15 March 2021 | PAR Jean-Marie Chamouard

Dans son premier roman, «Corps défendus» Laure Heinrich témoigne de son vécu d’avocate pénaliste. A travers le drame d’Eve violée puis assassinée elle propose au lecteur une immersion au sein de l’appareil judiciaire.

La narratrice est une avocate pénaliste. Un père lui téléphone: ma fille est morte, pouvait vous m’aider? Eve, 20 ans a été violée puis assassinée chez elle, au retour de boite de nuit .Jean, le meurtrier, a vite reconnu les faits: «Je l’ai tuée au petit matin».Alors la narratrice plonge intellectuellement et émotionnellement dans le dossier. Elle veut connaître Eve et ses proches, comprendre le drame. Eve était décoratrice d’intérieur et vivait dans un village des Pyrénées orientales. Le lecteur découvre l’impétueuse Emilie, son amoureuse, Yves Williaert le père, professeur de tennis, abattu ou en colère, la mère impassible qui «garde son tuteur interne». Jean reste énigmatique évasif, incapable d’expliquer son acte. Il est comme étranger à son crime, écrasé par la culpabilité. Il ne comprend pas son passage à l’acte qu’il décrit comme un accès de rage extrême, un état second, un trou noir. Emilie dévoile son intimité et parle de son amour des femmes. Le roman est donc aussi l’histoire d’un amour brisé. L’ombre d’un crime homophobe plane sur le dossier. Emilie aimerait s’approprier le drame, qu’il devienne le récit emblématique de l’homosexualité violentée, même si Emilie se sentait avant tout comme une femme libre. Vient enfin le procès en cours d’assises. Jean est anéanti, le rituel prend une dimension sacrificielle scellant son exclusion du monde des humains. Un procès qui n’allégera pas la souffrance d’Emilie et des parents.

Laure Heinrich est avocate pénaliste et «Corps défendus» est son premier roman. Elle nous conduit à l’intérieur du monde judiciaire mais vu du côté de la défense. Elle réalise une étude clinique de l’appareil judiciaire, «ce rouleau compresseur dont l’avocat n’est qu’un rouage». Elle décrit avec talent l’annonce du drame aux parents par un gendarme fin psychologue, la mort qui plane lors de la reconstitution, la décevante et mécanique expertise psychiatrique. Avec talent elle fait vivre au lecteur le procès aux assises, son intensité dramatique. Le récit est riche de son humanité, l’auteure faisant rentrer le lecteur dans l’intimité des protagonistes du drame. Elle s’attache à la douleur des parents mais aussi à la solitude écrasante de Jean, déshumanisé par son crime. Il est riche aussi des émotions de l’avocate, de ses doutes, de sa compassion. Elle parle de la dureté de son métier, de ses difficultés dans sa vie personnelle et professionnelle. La narratrice le reconnaît: «Aux parents, elle pourra dire comment leur fille est morte, mais pas pourquoi». Le silence de Jean, les limites des expertises psychologiques et de l’instruction le montrent: le mal reste fondamentalement incompréhensible, cette incompréhension apparaissant comme l’ultime limite de la justice.
Le lecteur sera touché, intéressé par ce premier roman qui offre un regard éclairé, sensible, sur la justice et sur le mystère du mal.

Laure Heinich, Corps défendus, Flammarion, 252 pages, 18 Euros, sortie en Février 2021.

visuel : couverture du livre

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Jean-Marie Chamouard

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