Fictions
L’Amérique de John Updike : Villages

L’Amérique de John Updike : Villages

12 May 2009 | PAR Jeremy

updike1 « En littérature, il y a beaucoup de passé et un peu de futur, mais il n’y a pas de présent. Au cinéma, il n’y a que du présent qui ne fait que passer. », affirmait Jean-Luc Godard. Gageons que «Villages» échappe à cette définition. Le roman de John Updike, subtil testament d’un grand homme de lettres, confronte toutes ces dimensions temporelles jusqu’à l’absurde. La peinture de ces villages, qui sont autant de jalons d’une chronique du temps qui passe, articule les sentiments amoureux à une analyse fine de la société américaine. Et mêle réalité et fiction avec minutie.

Humaniste, critique pour le magazine New-Yorker et auteur d’un soixantaine de livres, John Updike, mort le 27 janvier à 76 ans était un véritable témoin de son temps. Il incarnait l’érudition littéraire et entendait « donner vie aux mots par le métal et l’encre d’imprimerie. » Dans Villages, il dépeint le quotidien de cette classe moyenne américaine, protestante et bourgeoise qui vogue entre satisfaction et regrets à travers le récit d’Owen MacKenzie, retraité apaisé qui entreprend la narration de sa vie. Incapable de s’extirper de ses rêves, il les explore et redécouvre les figures féminines qui les habitent. Séducteur gauche mais entreprenant, il se satisfait de son existence bourgeoise et de sa retraite aisée, après qu’il eut mené une vie de génie informatique. Son ascension sociale, la faible éducation de sa mère et ses études au célèbre MIT s’entremêlent jusqu’à Julia, sa dernière femme, dont il supporte la vieillesse et son alter ego, la sagesse.

L’analyse de l’Amérique dont on ne parle pas, celle des classes moyennes; et de la banalité quotidienne est à la fois juste et cruelle. Du MIT, lieu masculin par excellence où les femmes sont des hommes comme les autres, aux bistrots contemporains peuplés d’hommes désabusés, John Updike donne à voir une exploration cynique des transformations sociales et politiques. Un constat lucide de l’évolution du temps : « il y avait des femmes gardiennes de prison maintenant on a la femme chef de parti » ou «Les maris sont superflus, des adjonctions dociles à l’affairement des rapports féminins » reflètent l’impact d’un féminisme enfanté en Amérique qui rend les maris « inessentiels et pathétiques » et les hommes désuets, honteux de demander leur chemin. John Updike rend aux hommes le caractère naturel de leurs besoins sexuels. Et alors qu’ils tenaient leurs femmes en dépendance économique, la baisse de leurs salaires leur a fait accepter leur nouveau rôle. Incapables de divorcer, ils restent liés à leurs femmes et à leur épargne commune. Julia est à l’aise alors qu’Owen reste à l’écart, hanté par ses conquêtes dont il ne garde qu’une tendre affection, et un profond romantisme. C’est cette Amérique ordinaire, les ménages moyens, qui souffre des excès de l’Autre, basée à Wall Street et responsable d’une crise économique qui ruine sa petite épargne.

Villages est le roman de la modernité. L’évolution du capitalisme, symbole de cette modernité, est décrite avec le cynisme d’un homme qui l’a vu grandir. « En cette époque matérialiste, il fallait faire confiance à la matière », « Le capitalisme ne nous demande qu’une chose : consommer », déclare un des personnages. Ce constat de « l’american way of life » est fidèle à une réalité qui apparaît cliché sans être fausse. Le retour en arrière d’Owen, l’exploration de ses rêves et la peinture de son quotidien nourrissent le style lent et fleuri de John Updike. Les descriptions précises et le vocabulaire fourni de l’auteur s’allient à une prose crue mais émouvante qui échappent à la marchandisation. Erotique et humaine, la littérature a toujours valu plus que des simples billets de monnaie. Les images féminines reposent sur une ambigüité : le décor est planté de manière précise, mais l’auteur laisse le soin au lecteur d’en imaginer les contours. Il décrit la folie de vivre qui contraste avec cette tempérance des villages, lieux paisibles qui échappent encore à la modernité. Haskells Crossing, Middle Falls et Willow se marient à Phyllis, Vanessa et Faye, ses nombreuses conquêtes, décrites avec un érotisme scabreux. Ses femmes échappent au temps.

C’est cette cruauté qui relie le sexe à la mort, pulsions humaines inéluctables ; et le village à la sagesse. Comme dans la construction d’un roman à 14 chapitres, et non 13, l’auteur veut nous signifier qu’il est lui aussi devenu sage et conservateur. Sans pour autant devenir puritain. Ses rapports avec Julia, la narration d’une vie ente fulgurance et habitude donne au roman l’image d’un apprentissage qui aboutit à l’apaisement. La vieillesse d’Owen rejoint le questionnement philosophique de John. Et l’attente de la mort, dans une émotion retenue, rappelle Hugo qui écrivait : « La mélancolie c’est le bonheur d’être triste. »

“Un matin, lors de cette dernière heure volée, il rêve que, dans une maison qu’il ne connaît pas (elle a l’aspect miteux d’un quelconque établissement public, pension de famille ou hôpital), des fonctionnaires sans visage le guident vers une pièce où, sur un grand lit comme le leur – deux lits d’une personne accolés –, un homme assez jeune, au vu de son corps blond et lisse aux fesses rebondies, est étendu sur sa femme comme s’il voulait la ranimer ou (ce qui est très différent) la dissimuler”

John Updike, “Villages” paru le 7 mai aux éditions du Seuil, 315 pages.

Jérémy Collado

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Jeremy

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