Fictions
« La Juive de Shangai » de Marek Halter : à l’Est du nouveau

« La Juive de Shangai » de Marek Halter : à l’Est du nouveau

23 January 2023 | PAR Bernard Massoubre

 

Dans son dernier roman La dame de Shangai, Marek Halter met en lumière la saga des Juifs qui ont fui l’Europe centrale, dans les années de souffrance, pour la Chine.

Marek Halter est un formidable conteur, ce n’est pas nouveau. Il donne au lecteur le goût de l’histoire, même quand elle est méphitique. Il l’a montré avec La mémoire d’Abraham, prix du Livre Inter en 1984, et de nouveau avec La Juive de Shangai.

Le récit couvre trois villes, et trois pays : Berlin en Allemagne, Varsovie en Pologne et Shangai en Chine. A celles-ci, il faut ajouter Kaunass en Lituanie.

La Juive de Shangai est le témoignage d’un d’amour, platonique, entre deux femmes. Ruth est Juive, elle est couturière dans une grande maison berlinoise. Et Clara est une activiste révolutionnaire, à Berlin aussi. Elles vont traverser, chacune à leur manière, chacune avec ses possibilités, l’horreur de la guerre. Puis, elles prendront des chemins différents, au sens propre et figuré, et se retrouveront à Shangai.

Berlin (décembre 1937-Juin 1938)

Elle est la capitale d’une Allemagne de 60 millions d’habitants qui a tourné le dos à la république de Weimar. La population y est pauvre, l’inflation galopante : le chancelier Hitler est arrivé au pouvoir par les urnes en 1933.

C’est aussi une description d’un Berlin amovible, comme si les monuments résistaient aux affres du temps : l’avenue Unter den Linden, le grand magasin KaDeWe ou la Königstrasse par exemple.

Fräulein Rostein est polonaise, mais elle vit chez son oncle et sa tante, les Warburg, car Berlin est une ville plus sure que Varsovie.

Ruth est employée par Frau Opel, responsable d’un prestigieux magasin de confection. La patronne reconnait son talent et elle décide aussi, par conviction religieuse, de la protéger. En effet, elle fait partie de l’Église confessante, dirigée par le pasteur Schneider. Ce mouvement refusait le nazisme et considérait qu’il devait aider les Juifs. Frau Opel fournit des nouveaux papiers d’identité à la jeune femme : elle est désormais Ruttie Roth, de confession luthérienne.

Carla est à la Rote Hilfe (Aide rouge), émanation du KPD, le parti communiste allemand. C’est une sorte de Croix-Rouge française qui offre une assistance aux nécessiteux. Albert Einstein et Thomas Mann étaient membres du CA d’une association qui hébergeaient des enfants. Pendant la guerre, la Rote Hilfe combattit vaillamment le nazisme.

Un matin, Ruth trouve porte close. Le magasin est définitivement fermé. Elle apprendra par Frau Opel, partie se réfugier en Angleterre, qu’elle y a sa part de responsabilité.

En fait, Ruth avait confectionné une robe superbe qui plaisait à une dame, personne influente du régime nazi. Rentrée chez elle, elle montre le vêtement à son amant. Celui-ci entre dans une colère homérique, devant cet accoutrement et il ordonne la fermeture de la boutique. Marek Halter ne donne pas le nom du monsieur mais indique que sa femme s’appelait Eva Braun.

Varsovie-Kaunass (1938-1939)

Ruth rentre à Varsovie chez son père Abraham. Il est remarié avec Yenté qui n’accepte pas sa belle-fille. La cellule familiale est traditionnaliste, plus religieuse qu’à Berlin, et Ruth souffre de l’étroitesse d’esprit de sa marâtre.

Mais, peu lui chaut car elle renoue avec son cousin Hugo. Et, c’est le début d’une aventure passionnée, faite de projets les plus fous. Hugo est journaliste d’un périodique yiddish. Il est un militant de la cause juive car il ne se fait pas d’illusions sur le sort des siens. Et pour cause.

Hitler trouve que l’élimination des Juifs n’est pas suffisamment rapide. Alors, dans la nuit du 8 au 9 novembre 1938, des centaines de synagogues sont incendiées dans toute l’Allemagne, 5000 magasins, ateliers, fabriques sont détruites, près de deux-cent morts et de 30.000 déportés. C’est la Kristallnacht (la nuit de cristal).

Ruth décide alors de quitter la Pologne. Elle a entendu que Monsieur Sugihara, vice-consul du Japon à Kaunass (en Lituanie), offre des visas (vrais et faux) aux Juifs qui souhaitent fuir l’Europe. Direction la Chine. C’est le début d’un long voyage jusqu’à Shangai. Son père Abraham décide de s’arrêter dans le Birobidjan.

Shangai (Août 41-août 45)

Clara attend son amie en Chine mais elle a pris une autre route, celle de la mer à partir d’Hambourg. Et, elle a une mission précise : elle est agent de renseignements pour le Kominterm.

La guerre sino-japonaise a débuté en 1937. Le Japon est entré dans la Seconde Guerre mondiale en septembre 1940. Il a entraîné les États-Unis dans le conflit un an plus tard, après l’attaque de Pearl Harbor.

A la demande des Allemands, les Japonais parquent les Juifs (ils furent 30.000 environ) dans le Ghetto de Shangai. Mais, les autorités locales refusèrent les injonctions du régime nazi qui leur demandait d’exterminer les Juifs. Il n’y eut pas de shoah car l’antisémitisme n’existait pas au Japon et en Chine.

L’AJJDC (American Jewish Joint Distribution Committee), plus grande organisation humanitaire du monde, joua un rôle important dans l’accueil des réfugiés.

Le fil conducteur du roman

La machine à coudre Singer est l’alpha et l’oméga de La Juive de Shangai. Elle est l’outil d’émancipation de Ruth dans le magasin de Frau Opel. Et, elle cache aussi les carnets de la jeune polonaise. Ceux qui tomberont dans les mains de Bo Xiao-Nao, fille adoptive de Fräulein Rostein.

Des années plus tard, elle fera connaître la vie de la petite couturière sur la première chaîne israélienne. L’écriture du livre peut maintenant. débuter. 

Avec La Juive de Shangai, Marek Halter nous propose un voyage dans le temps, de l’Occident à l’Orient : la pérégrination de Juifs qui fuient la bête immonde. C’est un épisode peu connu de l’histoire, de Berlin à Shangaï.  

 

La Juive de Shangai de Marek Halter. Éditions XO, 2022, 362 pages. 21,90 €

 

 

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