Fictions
J. M. Coetzee poignarde Elizabeth Costello

J. M. Coetzee poignarde Elizabeth Costello

21 August 2018 | PAR Marianne Fougere

Sans fresque ni frasque, l’auteur de Disgrâce et d’En attendant les barbares touche au sublime une nouvelle fois.

[rating=5]


S’il est un personnage qui, telle une éclipse, apparaît de manière intermittente dans nos vies de lecteurs, c’est bien Elizabeth Costello. J. M. Coetzee lui a consacré un livre éponyme, à mi-chemin de la fiction et de la réalité puisque les huit conférences qu’Elizabeth Costello rassemble ont été, pour certaines d’entre elles, prononcées par le Prix Nobel de Littérature lui-même. L’écrivaine australienne, à la fibre philosophique autant que provocatrice, s’est imposée également dans la vie d’un autre personnage de Coetzee. Ainsi, dans L’homme ralenti, elle observait Paul, souhaitait qu’il lui arrive des choses intéressantes pour pouvoir écrire sur lui, allait même jusqu’à jouer les entremetteuses pour lui procurer des rencontres et des relations sexuelles avec une aveugle… Quelle fût donc pas notre joie, quand nous comprîmes qu’Elizabeth Costello était de retour ! Quelle fût donc pas notre hâte de lire à nouveau les vérités dérangeantes que Coetzee aime tant lui faire asséner…

Mais la vérité la plus dérangeante qu’il nous a fallu affronter est celle de la mort inéluctable d’Elizabeth. En effet, dans L’Abattoir de verre, Coetzee suit désormais la vieille dame dans la dernière phase de sa vie. L’écrivaine n’a rien perdu de son panache ni de sa verbe : désormais blonde, elle refuse d’habiter près de ses enfants, préfère faire face à l’inéluctable dans la liberté et l’indépendance de la solitude, pensant – sans doute à juste titre – qu’ « il y a une chose pour laquelle les vieux sont meilleurs que les jeunes : mourir » …

La mort affleure donc à chaque page des sept nouvelles philosophiques qui composent le recueil. Ce dernier n’en est pas pour autant lugubre puisqu’en creux du portrait de femme, Coetzee se penche sur l’élan de la vie plus ou moins sauvage et nous invite à nous interroger sur la place dépréciée de l’animal dans nos sociétés : poulets en batterie, chiens de garde agressifs, chats délaissés, tous sont conviés comme pour mieux mettre en relief le sens et la nature profonde de notre humanité et pour mieux taquiner les philosophes, de Descartes à Heidegger – qui n’était pas sans ressembler à une tique, réagissant lui-aussi aux seuls stimuli qu’éveillaient chez lui les caresses de la jeune Hannah Arendt…

Si Coetzee se fait assassin, il ne se départit jamais de son élégance stylistique légendaire. Epurée comme jamais nous pensions qu’il soit possible d’y parvenir, la langue fait mouche en trois mots seulement. Aucun artifice donc, ni considérations morales. Si le ton emprunte à l’amertume c’est toujours entouré d’une infinie tendresse comme pour mieux accompagner dans sa dernière demeure cette, il est vrai, vieille égoïste de Costello et toucher, au passage, au cœur de nos interrogations les plus complexes et les plus universelles. Que restera-t-il de nous lorsque nous serons partis ? Que transmet-on à ceux qui restent ? Mais aussi que restera-t-il de nos textes ? La beauté ne nous rend peut-être pas meilleurs mais celle de la plume de Coetzee n’est pas, quoi qu’en dise Costello, comparable à du vin qu’on dégusterait puis qu’on éliminerait. Elle est bien plus semblable à un parfum dont l’odeur, et les souvenirs, les émotions, les personnes qui y sont rattachés, restent gravés de manière indélébile dans nos mémoires.

J. M. Coetzee, L’Abattoir de verre, Paris, Seuil, sortie le 16 août 2018, 176 pages, 18 euros.

 

 

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Marianne Fougere

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