Intégrale des nouvelles d’Herman Melville chez Finitude : une œuvre à redécouvrir
Présentées dans l’ordre chronologique, traduites par deux hommes travaillant de concert, les nouvelles d’Herman Melville donnent à voir un nouvel écrivain, assez différent de celui de ses romans.
La somme publiée aux éditions Finitude a de quoi impressionner : plus de 830 pages réunissent des textes de jeunesse, des articles humoristiques et l’intégralité des nouvelles d’Herman Melville. Si Moby Dick est l’arbre qui cache la forêt dans l’œuvre de Melville, le phénomène se répète pour ses nouvelles. « Bartleby », œuvre phare, maîtresse, sur-commentée (par Derrida, Blanchot, Deleuze…), première nouvelle de Melville, cache également l’ensemble des autres nouvelles de l’auteur américain.
Dans sa carrière littéraire, Melville ne connaît pas un long fleuve tranquille. Applaudi pour son livre Taïpi, librement inspiré de son séjour aux îles Marquises, Melville connaît l’incompréhension du public lors de la parution de Moby Dick, et carrément le rejet de la part du public comme de la critique pour Pierre, or the Ambiguities. Nous sommes en 1852, et il faut bien vivre. Melville se tourne vers l’écriture de nouvelles.
L’écriture de ces nouvelles lui permet un gain rapide des deux journaux qui veulent bien le publier, et cette écriture lui permet de rester dans le milieu des lettres, après l’échec de Pierre. Dix-neuf nouvelles sont réunies dans cet ouvrage, s’ouvrant par « Bartleby le copiste » et se fermant par « Le Fleuve », avant de laisser place à des textes de jeunesse, des textes parus dans le Yankee Doodle et des textes écrits pour le Burgundy Club.
Ce qui est étonnant dans ces nouvelles, c’est à quel point Melville semble avancer démasqué : beaucoup d’entre elles « possèdent une dimension autobiographique de nature psychologique qui n’est pas aussi présente dans le reste de son œuvre » (Christian Garcin et Thierry Gillyboeuf, traducteurs). On trouve de tout dans ces nouvelles, à boire et à manger. Saluons notamment « Benito Cereno » (plutôt un court roman) ou encore « Moi et ma cheminée », sans oublier « Bartleby le copiste », même s’il est si facile de louer cette nouvelle. Nous ne préférerons donc pas parler de « Bartleby », oui, « I would prefer not to ».
On trouve énormément d’humour dans ces nouvelles mais aussi de nostalgie et de profondeur. Quoiqu’un peu cachés, les thèmes abordés sont toujours les mêmes que ceux présents dans les romans : le Bien, le Mal, Dieu… Et les deux traducteurs de conclure que, chez Melville, on perçoit toujours « un homme en proie à une angoisse existentielle parce qu’il a la capacité de voir davantage que ce que voit le monde ». Portrait des îles Galapagos dans « Les Encantadas », portrait d’un homme décidant de se retirer du monde dans « Bartleby le copiste », portrait d’un homme obnubilé par sa cheminée dans « Moi et ma cheminée », description d’un chant du coq envoûtant dans « Cocorico ! »… Voilà tout ce qui vous attend en ouvrant ces textes pas forcément connus !
Incipit de « Baby Budd, marin » :
« Avant l’époque des bateaux à vapeur, et bien plus souvent qu’aujourd’hui, un promeneur qui flânait le long des quais d’un port d’une certaine importance voyait de temps en temps son attention attirée par un groupe de marins burinés en permission et en vêtements civils, fraîchement débarqués d’un navire de guerre ou d’un bateau de marine marchande. Parfois ils encadraient, ou entouraient comme un garde du corps, quelque personnage particulier, d’un grade identique au leur mais dont l’importance était manifeste, qui avançait avec eux comme la grande Aldébaran parmi les étoiles mineures de sa constellation. »
L’intégrale des nouvelles, Herman MELVILLE, Éditions Finitude, 834 pages, 35 €
Visuel : © couverture du livre