Fictions
Crépuscule, une fable inquiétante de Philippe Claudel

Crépuscule, une fable inquiétante de Philippe Claudel

15 February 2023 | PAR Jean-Marie Chamouard

 

Philippe Claudel décrit le crépuscule d’une petite ville, aux marches de l’empire. L’interminable hiver va être bouleversé par un meurtre puis par un enchaînement de violence. Un roman saisissant. Une fable effrayante, qui nous interpelle.

Un meurtre incompréhensible

Imaginons une petite ville, assoupie, éloignée de tout, dans une province reculée de l’Empire. La bourgade est étouffée par le froid, la neige, le brouillard. La frontière est tout près, surveillée, vaguement inquiétante, mais jamais franchie. Deux enfants découvrent la nuit, près du presbytère, le corps du curé, le crâne fracassé par une pierre ensanglantée. Nourio, le policier, est chargé de l’enquête. Il est arriviste, vaniteux jusqu’au ridicule, soumis à ses pulsions sexuelles. Son désir se porte sur Lémia, la fille du misérable sabotier, presque une enfant. Il reste toutefois lucide, attaché à la recherche de la vérité. Son fidèle adjoint Baraj est un géant, aux traits grossiers, dont la rusticité cache la loyauté, la sagesse et… une âme de poète. Le crime du curé va bouleverser le quotidien ennuyeux de la ville. L’enquête piétine. L’atmosphère change, l’inquiétude, les tensions sont palpables. Les autorités organisent une machination « pour la sauvegarde de l’Empire » aux dépens de la recherche de la vérité. Les musulmans, peu nombreux dans la ville, étaient tolérés, maintenant, ils sont accusés, menacés. Comme le dit Baraj « Tuer un prêtre, c’est qu’on est arrivé à la fin, la fin des temps, oui, un peu ». Et si la tranquille bourgade s’approchait de l’abîme??

Quand le mal s’abat sur la ville

Crépuscule est un conte moral. Le lieu et l’époque du récit ne sont pas précisés. D’après quelques indices, il pourrait s’agir de l’empire Austro- hongrois au début du vingtième siècle. Philippe Claudel est un remarquable portraitiste. Les principaux personnages, Nourio, Baraj mais aussi le médecin et l’imam, sont hauts en couleur, saisissants. Il est peintre aussi : certaines scènes sont de magnifiques tableaux comme l’enterrement du curé, la procession nocturne dans la ville ou encore, la chasse organisée par le Margrave local.
L’auteur décrit très bien la montée de la haine et l’ambiance crépusculaire qui s’abat sur la ville. La montée de la violence, un ensauvagement paraissent inexorables. Le roman paraît hors sol, hors du temps, mais pourrait être une fable sur les problématiques contemporaines. Le lecteur y retrouve la recherche d’un bouc émissaire, l’érosion de la tolérance, le rapport à l’Islam. Alors que le christianisme s’effrite dans la ville, le dynamisme de l’Islam, de l’autre côté de la frontière, inquiète. L’auteur nous apporte également une réflexion sur le rapport à la vérité, sur les circonstances, les enchaînements pouvant conduire au mal absolu. Après l’ultime drame, Philippe Claudel laisse toutefois entrevoir, grâce à Baraj et Lemia, une possibilité de justice, d’apaisement.
Crépuscule est un roman sombre, glaçant même, mais captivant qui ne laissera pas le lecteur indifférent.

Philippe Claudel, Crépuscule, éditions Stock, 352 pages, 23 Euros, sortie le 04 janvier 2023.

Visuel : © éditions Stock-Couverture du livre

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Jean-Marie Chamouard

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