“Berlin Requiem” : Dans les pas de Wilhem Furtwängler, par Xavier-Marie Bonnot
Dans ce roman historique, l’écrivain et réalisateur Xavier-Marie Bonnot décrit la vie et la carrière du chef d’orchestre, compositeur, Wilhem Furtwängler pendant le nazisme. Le livre est aussi une ode à la musique.
Un chef d’orchestre dans la tourmente du nazisme
Lorsqu’Hitler arrive au pouvoir en janvier 1933, le chef d’orchestre Wilhem Furtwängler est au sommet de sa gloire. Il dirige le prestigieux orchestre philarmonique de Berlin, il est devenu un mythe vivant. Furtwängler méprisait les nazis et n’avait pas cru à leur victoire. Pour lui la musique est toute sa vie et il ne veut pas mêler l’art et la politique. Il continuera donc de diriger son orchestre et refusera de quitter l’Allemagne. Il saura s’opposer aux dirigeants nazis, pour tenter de défendre les musiciens juifs de son orchestre ou pour s’opposer à la censure de certains compositeurs comme, Paul Hindermith. Néanmoins pour le régime, la musique fait partie de la politique, elle est son « escorte sonore » et Furtwängler est un monument national. Son classicisme en musique est apprécié et ses concerts doivent montrer au monde la richesse de la culture allemande. Il sera, contre son gré, récupéré par la propagande nazie. Jusqu’à la fin de la guerre, les concerts se poursuivront, comme un ultime refuge, dans Berlin en ruines.
Mais il s’agit aussi d’un ouvrage de fiction : Christa Meister est une cantatrice renommée qui choisira l’exil en France, surtout quand on lui « reprochera » son grand père juif. Son fils Rodolphe est un enfant solitaire, un pianiste prodige, qui rêve de devenir chef d’orchestre, comme Furtwängler. Ils seront rattrapés par la guerre et par la Shoah. Christa sera déportée, son fils rejoindra la résistance et participera à la libération de Paris. Le destin de Rodolphe va recroiser celui de Furtwängler : âgé et malade le maestro restera hanté par le passé.
Pouvons-nous juger Wilhem Furtwängler ?
Berlin Requiem est à la fois une biographie et un roman. L’articulation entre le personnage historique, de Wilhem Furtwängler et les personnages de fiction est habile, fluide. Rodolphe enfant est émouvant, tout comme son apprentissage du métier de chef d’orchestre pendant la guerre à Paris en 1940. L’Allemagne des années trente est bien décrite avec l’irrésistible montée en puissance du partie nazi, l’arrivée au pouvoir d’Hitler, la transformation du pays qui désormais « marche au pas ». Les repères historiques sont présents dans le récit comme l’incendie du Reichstag, la nuit des longs couteaux, la nuit de cristal. La description est saisissante des destructions, du chaos, de la faim, de la misère, à Berlin, en 1945 – 46. Le personnage de Furtwängler est complexe, sa position vis-à-vis du régime, est plutôt passive, plus subie, que voulue ; elle se situe entre résistance et compromission. Mais confrontée dans le livre au drame vécu par Christa elle parait fragile, dérisoire, contestable.
Furtwängler a été jugé et acquitté à Vienne puis à Berlin. .Il ne s’est pas exilé, car il croyait qu’une autre Allemagne existait encore et que jouer de la musique était une mission supérieure, quasi sacrée. S’est il fourvoyé, retranché dans sa tour d’ivoire, aveuglé par son orgueil ? Faut il condamner Furtwängler comme l’a fait Thomas Mann car pour l’écrivain « rester en Allemagne conduisait à cautionner même passivement la barbarie ». Faut-il le comprendre, comme Yéhudi Menuhin qui écrivit que « le travail du maestro ressemblait à une croix rouge spirituelle ou à une mission pastorale ». Au-delà du cas du chef d’orchestre, le livre de Xavier Marie Bonnot pose cette question fondamentale : l’art peut il se soustraire à la politique, peut-il se placer au dessus de la morale ?
Xavier-Marie Bonnot, Berlin Requiem, Plon, 360 pages, 19 Euros, sortie le 2 septembre 2O21
visuel : couverture du livre