Fictions
Anaïd Demir: Maison-Mère

Anaïd Demir: Maison-Mère

15 March 2022 | PAR Jean-Marie Chamouard


Anaïd Demir est journaliste, critique d’art, commissaire d’exposition. D’origine arménienne de Turquie, sa famille est arrivée en France avant sa naissance, au début des années 60. Dans
Maison-Mère elle redécouvre la maison de son enfance et se penche sur le passé familial et l’histoire du peuple arménien.

«Plus je la fuis, plus elle m’appelle, m’attirant à elle comme une Gorgone qui chercherait à me pétrifier». Après la mort de ces parents Anaïd Demir revient habiter dans la maison de son enfance, en grande banlieue parisienne. La maison qui était vivante, réinventée en permanence est maintenant vieillie et silencieuse. De pièce en pièce, de chapitre en chapitre elle dévoile peu à peu l’histoire familiale et celle de l’Arménie. L’auteure fait appel à des «objets mémoire», comme le berceau en bois offert pour la naissance de son père ou le Tavlou, ce jeu qui réunissait toute la famille pour des parties passionnées. Elle décrit l’école familiale et la petite salle de classe où se retrouvaient le samedi tous les enfants pour la transmission de la langue et de la culture arméniennes. Dans le formidable atelier de couture de sa mère se cache l’échantillon du blouson de ses 14 ans. Anaïd Demir tente de faire revivre le jardin de ses parents, ce «spectacle floral» qui rappelle le lien ancestral des arméniens avec la nature. Elle recherche dans l’appartement de sa grand-mère les anciennes photographies pour reconstituer le musée de son histoire personnelle. Mais la mémoire familiale bute sur le génocide de 1915, son grand-père y périt, et sur les non dits: la photographie de sa mère en jeune femme libre est séduisante est introuvable… Puis il y a l’omniprésent patriarcat qui a asservi sa mère, son père se comportant comme «un vizir en son foyer» et ses frères aînés comme des «Cow-boys Ciliciens»!

Anaïd Demir a écrit un récit personnel, sensible, touchant. L’écriture en est très littéraire, très poétique. C’est d’abord un livre sur la mémoire. L’auteure est traversée par les images anciennes. «C’est plus que de la nostalgie, presque un pays pour moi». Elle est reliée à ces ancêtres par des fils invisibles comme probablement beaucoup d’exilés et d’apatrides. Une mémoire douloureuse: «cette baraque me projette sans cesse en arrière», une mémoire en pointillés, amputée par le trou noir du génocide du 25 Avril 1915. «A cette date commencent tous nos maux, notre culpabilité aussi». Malgré les commémorations et les manifestations, le génocide est resté longtemps méconnu en occident et nié en Turquie. Le lecteur apprend beaucoup sur l’Arménie sur son histoire dramatique mais aussi sa poésie. Un pays mythique que l’auteure découvre lors de son voyage en 1991 après l’indépendance. La culture de ce pays est très riche, très émouvante, avec sa conversion en 301 au christianisme, son église indépendante, son alphabet de 38 lettres et le mont Ararat, comme pris en otage de l’autre coté de la frontière.
Maison Mère est enfin un livre sur les identités multiples des exilés. «Née en France mais venue d’ailleurs», sa partition intérieure était toujours décalée par rapport au monde ambiant. Le retour aux sources paraît aussi douloureux que nécessaire pour prendre son envol malgré la culpabilité et le poids du passé. Telle pourrait être la leçon de courage d’Anaïd Demir.

Anaïd Demir, Maison-Mère, Plon, 207 pages, 18 Euros, sortie le 3 février 2022

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Jean-Marie Chamouard

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