
On connaît (pas toujours) la chanson
C’est une grande chance pour les lecteurs français, amateurs de pop culture, que cette traduction d’un livre de Greil Marcus, deux ans après sa publication originale. 10 chansons qui ont l’ambition de raconter un peu de l’imaginaire de l’histoire du rock américain de la fin des années 40 à nos jours.
Ceux qui connaissent le style de Marcus, ses digressions savantes et sa façon très autorale de tordre les cultural studies savent de toute façon à quoi s’attendre. Les autres devront accepter de passer du coq-à-l’âne, d’être trimbalés d’une anecdote à une autre, de découvrir des gens importants qu’ils ne connaissaient ni d’Eve ni d’Adam, bref de pénétrer un univers savant et fantastique qui pose toujours sans le dire vraiment la question des limites de l’historiographie, de notre capacité à véritablement connaître la façon dont les événements – en l’occurrence ici la création d’une chanson- se sont vraiment déroulés. Pour commencer, Marcus va insister sur le fait que les souvenirs que nous rattachons aux chansons ont peut-être été fabriqués, « kidnappés par une autre histoire, colonisés par une plus vaste mémoire culturelle » écrit-il en introduction du livre. Des chansons qui ne forment pas des entités en soi mais des « connexions avec ses interprètes » La plupart du temps, il va démontrer avec le brio de conteur qu’on lui connaît qu’il n’y a de musique que celle de ses fantômes qui planent sur les compositions rock’n roll parfaitement ciselées et qui en révèlent l’imposture. Marcus parle ainsi divinement de Buddy Holly, de la lutte pour les droits et de Beyoncé. Ses propos souvent inspirés sont étayés par des références nombreuses, disponibles dans un copieux chapitre de notes. De quoi donner du grain à moudre.
« L’histoire du rock en 10 chansons », Greil Marcus, Galaade éditions, septembre 2016 (traduit de l’anglais par Pierre-Richard Rouillon)