Essais
“Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie” de Robert Boyer : Que fait le coronavirus à nos capitalismes ?

“Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie” de Robert Boyer : Que fait le coronavirus à nos capitalismes ?

25 October 2020 | PAR Chloé Hubert

Alors que la 2ème vague du coronavirus frappe à nouveau, il semble désormais évident que cette pandémie est faite pour durer. Mais, comme l’affirme Robert Boyer, plus la crise est de longue durée, plus les chances d’un retour à la normale sont faibles. Dès lors, l’économiste hétérodoxe s’interroge sur le devenir des capitalismes à l’épreuve de la pandémie.

« Chaque société connaît les crises de sa structure »

Tel pourrait être l’adage de la théorie de la régulation dont Robert Boyer est un des fondateurs. Branche hétérodoxe de l’économie, sa discipline cherche à expliquer l’alternance entre les périodes de crise et de croissance non pas par des chocs exogènes mais bien par des chocs endogènes, internes à la structure du capitalisme lui-même. C’est d’ailleurs, selon cette théorie, à travers ces crises que le capitalisme perdure en s’adaptant. Ainsi, Robert Boyer analyse ici la crise du coronavirus comme un effet du capitalisme, mais ne s’intéresse pas tant aux causes qui ont menées à la crise qu’aux réactions et adaptations des capitalismes, qui sont par ailleurs envisagés au pluriel car s’inscrivant dans des contextes nationaux différents.
Dès lors, cet ouvrage est moins un essai anticapitaliste aux accents malthusiens qu’un ouvrage de sciences humaines et sociales qui propose, à l’aide d’une analyse économique prenant en compte l’histoire, un ensemble d’analyses permettant d’envisager le devenir des capitalismes du « monde d’après ».

La pandémie comme analyseur et accélérateur des transformations des capitalismes

Justement, Robert Boyer estime que dans le « monde d’après » ne différa pas drastiquement du « monde d’avant ». La crise du coronavirus fonctionnerait ainsi comme un catalyseur et un accélérateur des transformations qui était déjà à l’œuvre au seins des capitalismes. Au milieu de réflexions sur la dislocation des relations internationales, l’impuissance de l’union européenne, la faiblesse de l’Etat social ou encore les populismes et la crise climatique, l’auteur dégage deux dynamiques qui consacrent deux types de capitalismes qui cohabitent et qui ont chacun une approche de la santé différente. Il s’agit d’un capitalisme d’Etat qui considère la santé comme un instrument de légitimation, et d’un capitalisme transnational de plateforme et de surveillance qui voit la santé comme une source de profit. L’auteur pose cette question qui reste pour l’instant sans réponse : « Les capitalismes étatiques offensifs seront-ils capables de résister au pouvoir accumulé par le capitalisme transnational de plateforme ou au contraire seront-ils des formes de gestion politique de l’acceptation d’une dépendance économique ? ». Si beaucoup de question reste sans réponse, cet ouvrage à le mérite de les formuler clairement pour nous permettre d’analyser avec acuité la période que nous vivons.

Vers un modèle anthropogénétique ?

Si les réactions face à la crise du coronavirus s’inscrivent donc principalement dans des évolutions déjà à l’œuvre auparavant, certaines décisions prises interpellent l’auteur qui se risque à envisager une sorte de troisième voie. En effet, le choix et de faire passer la santé des populations avant l’économie et la finance va à rebours de la hiérarchie traditionnelle des capitalismes qui soumettent plus volontiers la santé à l’économie et à la finance. Pour Robert Boyer, cet arrêt de la production économique et de la distribution des services et des biens non essentiels à la préservation des vies humaines pourrait marquer les prémices d’un modèle anthropogénétique déjà à l’œuvre dans certaines sociétés comme le Japon. Celui-ci placerait au cœur de son modèle la santé, alliée avec l’éducation et la culture. Dans tous les cas, l’économiste énonce qu’une sortie de crise durable n’est possible qu’avec un ré-encastrement de l’économie avec la société et le politique.

Ainsi, cet ouvrage riche et parfois complexe apparait toutefois nécessaire pour fournir toute une série d’analyses d’ordre économique, sociale, politique et historique. En effet, celles-ci trouvent rarement leur place dans le traitement médiatique mais aussi –malheureusement- politique, qui est fait « à chaud » d’un événement qualifié de sans précédent. C’est aussi le rôle des sciences humaines et sociales que de donner des éléments d’analyse pour que les hommes qui font leur propre histoire aient conscience des conditions dans lesquelles ils la font, qui sont en réalité surtout hérité du passé. Clin d’oeil à Marx et Engels avec lesquels Robert Boyer choisi de commencer son introduction.

Rober Boyer, Les capitalismes à l’épreuve de la pandémie, La Découverte, 200 p. 19 €, sortie le 1er octobre 2020

Visuel: ©couverture officielle La Découverte

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Chloé Hubert

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