Essais
[Interview] Hugues Lethierry nous fait “mûrir d’humour”

[Interview] Hugues Lethierry nous fait “mûrir d’humour”

02 May 2015 | PAR Yaël Hirsch

Philosophe et pédagogue, spécialiste de Vladimir Jankélévitch et Henri Lefebvre, Hugues Lethierry a publié une dizaine de volumes sur l’humour. Des cyniques à nos jours, le rire est selon lui la “prise de rixe” nécessaire avec la vie et la transmission du savoir. Après Se former dans l’humour, il poursuit sa série Mûrir de rire avec “Humour et discipline(s)”, un parcours des diverses matières avec lesquelles on peut apprendre et rire. Rencontre avec un joyeux Ciceron(e).

humour et disciplineComment en êtes vous arrivé à l’idée qu’un bon enseignant doit savoir faire rire ses disciples?
En fait j’essaie justement de me moquer du “bon” maître : Selon quel critères, quels publics, à quel moment de son parcours… Un prof n’a pas de disciples. Les livres, sérieux, tournent en dérision le fait de se PRENDRE au sérieux.

Pourquoi commencer par les maths et “progresser” vers les humanités et les arts ?
J’ai commencé par les sciences parce qu’elles me sont un domaine un peu étranger. Afin de ne pas céder à ma pente naturelle et pour montrer le sérieux de l’affaire

Quand vous citez certains de vos étudiants et leurs jolis mots drôles est-il juste de dire que vous riez avec eux et non pas d’eux? A part l’anecdote de la salle informatique avez vous d’autres souvenirs à raconter du rire et apprendre ensemble? Mais du coup, les élèves eux, ne se moquent ils pas de leur prof avec, parfois, une certaine cruauté?
Ce serait malsain par exemple de faire un “bêtisier d’élèves”. En fait, c’est le prof qui n’a pas su expliquer !
Parfois j’étais moi-même moqué, surtout quand j’ai été candidat aux municipales contre mon ministre (de l’Éducation Nationale, René Haby à Lunéville aux municipales de 1977 NDLR). Ceux qui le soutenaient bien sûr, ne me portaient pas dans leur cœur ! Cela m’a un peu durci et je me verrais bien faire maintenant des pamphlets contre tel mandarin qui se croit “possesseur” d’un auteur.

On a l’impression que l’économie en tant que discipline, est présentée comme une vaste blague ? Riez vous de ou avec l’économie ?
Le texte moque les prétentions scientifiques de l’économie. Elles ont souvent pour but de camoufler les présupposés idéologiques de l’expert supposé au-dessus de tout soupçon et de toute passion partisane.

Il y a tout un bestiaire dans votre livre…. Qui veut faire l’ange trop sérieux fait la bête ?
J’avais écrit un article sur le bestiaire de “Zarathoustra” dans le livre de Nietzsche. La bête renvoie à la partie animale, instinctive de nous-mêmes. Elle est liée aussi à nos émotions non contrôlées, dont fait partie le “fou” rire, souvent plus sage que bien des SOUS rires, convenus, de cir-constance, obligés, hypocrites. Avec mon précédent Diogène, nom d’un chien (ed. petit pavé) j’ai retrouvé la noblesse de l’animalité, thème fort en vogue aujourd’hui depuis qu’un ancien prof de la Sorbonne (et de l’École Normale Supérieure), mort il y a dix ans, en a parlé: Jacques Derrida.

Quand vous citez des auteurs sur l’humour, ils ont l’air de le prendre très au sérieux : Freud, Hesse, Wilde, on rit peu quand on les lit ou alors jaune avec le dernier… Pourquoi?
On sera critiqué de toute façon : si l’on est trop rigoureux en parlant d’humour mais aussi, dans le cas contraire, si on se laisse aller dans le relâchement. D’où le fait depuis Érasme (concernant la Théologie) jusqu’aux “économistes atterrés” aujourd’hui, par exemple, de prendre ses distances avec certains discours sentencieux n’admettant pas de réplique. L’évaluation, au lycée et en fac, se fait dans les couloirs et le dos du prof, s’il n’admet aucune contestation en classe. C’est toujours la même chose: le retour du refoulé vous revient en pleine…

Quelle est la blague que vous préférez raconter?
Une blague ? On les oublie ! Éviter le gros rire qui tache, comme celui qui “distingue” parmi les élèves, ceux qui comprennent de ceux qui n’ont pas les codes culturels de la classe moyenne à laquelle s’identifie en général l’enseignant. La connivence peut-être liée aussi au sexe dans le cas de blagues grivoises.

Avec vous un conseil à donner aux profs en mal d’amour/ d’humour?
On est tous en mal d’humour et d’amour : amour de qui : un supérieur, un(e) collègue? Un(e) étudiant(e) ? Le statut change pas mal de choses et parfois “mieux vaut en rire” effectivement, pour prendre ses distances, faire “un travail de deuil” a l’égard de problèmes passés. On rit pour survivre aux déceptions, aux désillusions. Donc Éros est présent et sa “libido” dans les interstices de l’esprit. Il nargue notre naïveté, notre soumission aux canons de la mode, des héros auxquels nous nous identifions. Mais je m’écarte … On ne peut donner de conseils à personne … sinon (mais peut-être sommes-nous présomptueux) de lire nos livres !

Hugues Lethierry, Mûrir de rire T.1,”Humour et discipline(s)”, Publibook, 172 p., 19 euros.

visuel : couverture du livre

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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