George Hoare et Nathan Sperber donennt des repères sur Antonio Gramsci
Deux universitaires viennent de publier une passionnante Introduction à Antonio Gramsci (1891-1937), le célèbre penseur marxiste italien. Clair et d’excellente facture, l’ouvrage est récemment paru aux éditions La Découverte. George Hoare enseigne la philosophie politique à l’université d’Oxford, au Hertford College. Il a obtenu son doctorat à l’université d’Oxford, au Nuffield College, en 2011. Sa recherche actuelle porte sur l’histoire de la pensée marxiste. Nathan Sperber est quant à lui enseignant au département de sociologie de l’université Fudan à Shanghai. En parallèle, il fait une thèse en sociologie économique à l’EHESS.
ANTONIO GRAMSCI, UN IRREDUCTIBLE ENNEMI DU FASCISME
« Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans ». C’est ainsi que Mussolini s’exprimait, autrefois, à propos du communiste Antonio Gramsci. Pour ce fait, en dépit de son immunité parlementaire, le pouvoir fasciste l’embastilla le 8 novembre 1926. Le penseur marxiste fut alors condamné à la bagatelle de quelque deux décennies de prison. C’est en avril 1937 qu’il mourut précocement (à l’âge de 46 ans).
LES CAHIERS DE PRISON
Toutefois, le Duce Benito Mussolini ne parvint point à entraver la réflexion gramscienne. Au fin fond de sa geôle, l’ancien journaliste de « L’Ordine Nuovo » écrivit ses célèbres Cahiers de prison, monument de la pensée humaine long de plus de 2.200 pages. Ce ne fut pas sans mal, puisqu’il dut affronter la censure ainsi que d’énormes difficultés à se munir de crayons, de papier et de livres.
Ces Cahiers frappent par leur grand éclectisme, puisque le propos d’Antonio Gramsci portait à la fois sur la société, sur l’histoire, sur la culture et aussi sur le politique. La pensée gramscienne frappe également par sa puissance, laquelle a fait de l’ancien chef du Parti communiste italien le philosophe marxiste le plus important après Karl Marx.
UNE ŒUVRE DE REVOLUTION
Les Cahiers de prison offrent une théorie de la révolution prenant en compte l’extrême complexité des sociétés occidentales modernes. Ainsi l’entreprise révolutionnaire doit-elle s’affranchir non seulement de l’économisme, mais aussi du précédent soviétique, consistant notamment en la conquête du pouvoir par une avant-garde professionnelle.
L’objectif primordial qu’assigne Antonio Gramsci à ses disciples est de prendre en main la direction intellectuelle, idéologique et morale de la société pour conscientiser les principes devant in fine mener celle-ci à la révolution. Il faut nécessairement influer sur le climat politique et moral, bref sur la culture du pays pour le pousser au changement.
La méconnaissance française de la réflexion gramscienne est extrêmement surprenante. A l’étranger, les enseignements de Gramsci font souvent figure de « classique » des sciences sociales. Nombre de facultés imposent à leurs étudiants de se plonger dans sa littérature. En Italie, d’aucuns le placent au même niveau que des auteurs majeurs comme Vico et Machiavel. Particulièrement claire et bien écrite, cette Introduction à Antonio Gramsci comble avec bonheur un sérieux manque.
George Hoare et Nathan Sperber, « Introduction à Antonio Gramsci », La Découverte, Coll. Repères, 2013, 128 p., 10 euros.