Essais
Cynthia Fleury : “Ci- git l’amer : guérir du ressentiment”

Cynthia Fleury : “Ci- git l’amer : guérir du ressentiment”

10 November 2020 | PAR Jean-Marie Chamouard

Cynthia Fleury est philosophe et psychanalyste. « Ci-git l’amer » est un essai sur le ressentiment, ce poison mental individuel et collectif. L’auteur l’étudie avec des perspectives psychanalytiques, philosophiques, historiques et trace un chemin, pour le sur monter.

Le ressentiment pourrait être une rumination envahissante sur quelque chose d’amer. C’est le chemin vers la rancœur, à la recherche d’une impossible réparation. Il devient un objet fétiche, distordant la réalité. Les conséquences pour l’individu sont graves : perte du discernement, fausse appréhension de la réalité. Le ressentiment enclôt le sujet dans la victimisation et le désir de vengeance, les difficultés paraissent insolubles, l’action devient impossible. Cette passivité peut conduire à une agressivité. Le ressentiment est destructeur pour l’individu. Il faut donc s’en prémunir par la connaissance, la tolérance, la générosité, les capacités d’admiration et d’étonnement. Par l’éducation aussi en apprenant à l’enfant à surmonter la séparation avec la mère et les frustrations.

Du ressentiment individuel au ressentiment collectif 

Le ressentiment peut devenir collectif : « il se développe telle une hydre à mille têtes enveloppant progressivement ses victimes ». Il peut conduire à la recherche d’un homme fort et au fascisme, l’identification au chef assurant une restauration narcissique. La dictature fasciste s’appuie sur la servitude volontaire, elle est régressive, rétrograde, les « victimes » deviennent bourreaux et les pulsions violentes se libèrent. Mais il existe aussi des traumatisés, des blessés dont l’amertume est authentique. Avec Frantz Fanon et Aimé Césaire, l’auteure aborde le choc de la colonisation, les traumatismes de l’exil. Pour surmonter l’amertume et le ressentiment il faudra s’ouvrir à l’universel, accéder à la sublimation, dépasser son identité héritée. Le troisième chapitre du livre s’appelle d’ailleurs « La Mer », métaphore d’un monde ouvert permettant le déploiement de l’imaginaire et de la création.

Un essai référence et élégant

« Ci gît l’amer » est un livre dense, érudit, riche, très riche. Sa lecture est facilitée par une écriture élégante, limpide. Il est formé de courts chapitres qui sont autant de variations sur le thème du ressentiment. Le texte est philosophique, faisant appel en particulier aux œuvres de Nietzsche, Jankélévitch et Deleuze. Il s’appuie aussi sur la théorie psychanalytique. Cynthia Fleury analyse en profondeur les déterminants psychologiques du fascisme. Son étude du fascisme reprend les travaux de Théodor W. Adorno, philosophe allemand proscrit par le nazisme mais aussi ceux du psychiatre Wilhelm Reich et de l’historien Robert Paxton. Cet essai établit un lien entre la psychopathologie et la psychanalyse d’une part l’histoire et la philosophie politique d’autre part. Cynthia Fleury est d’abord une thérapeute, elle prend très au sérieux le ressentiment. Prévenir, dépasser le ressentiment serait l’objectif premier de la psychanalyse. Elle revient ainsi à ce qui permet de « faire civilisation », sublimer les pulsions instinctives et violentes pour retrouver la capacité d’agir et de créer.

Cynthia Fleury nous met en garde : Actuellement « le ressentiment est en marche, bien ancré dans les cœurs et les discours, prêt à la revendication ».Mais son livre est aussi un plaidoyer pour la volonté et la responsabilité incitant chacun à « transformer l’amer en mer ». Pour que « la culture engendre une résilience face au déploiement des haines ». Pour préserver ainsi la démocratie.

Cynthia Fleury, Ci- gît l’amer. Guérir du ressentiment, Gallimard, 325 pages, 21 euros, sortie le 1 10 2O20.
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Jean-Marie Chamouard

One thought on “Cynthia Fleury : “Ci- git l’amer : guérir du ressentiment””

Commentaire(s)

  • Michaut François-Marie (Exmed)

    Ceci est une bouteille à la mer : son message ne sera sans doute jamais entre les mains de Cynthia Fleury…
    ” Çi-gît l’amer” , beau programme pour gagner la mer de Cynthia. Je n’ose pas écrire la mer de la sérénité, ce serait trop lunaire.
    Mais, pour les marins, un amer (comme le célèbre clocher bi-colore d’Ars en Ré) est un repère pour repérer du large son point d’accostage. Sans amertume superflue, prétendre que nous sommes en défaut d’amer pour diriger nos vies encovidées n’est pas mal observé.
    Donc la trilogie amer-mère-mer s’ouvre sur un point fixe de destination. Amer, à mère, à mer, amer.
    Quadrilogie encore incomplète, le jeu des mots dit plus. Son message que je collectivise d’emblée : âmes errent.
    La notion même d’âme, polluée dans nos esprits par des religionismes étriqués, est devenue infréquentable. Sans âme, non seulement les violons ne sont que des crin-crins, mais la réalité toute entière est amputée de toute une dimension vitale. Qui prend seulement la peine de lire et d’essayer de comprendre ” La face cachée du cerveau” de Dominique Aubier ?
    François-Marie Michaut, site Expression médicale

    November 13, 2020 at 12 h 24 min

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