Bernard Tapie, “Un scandale d’Etat, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent”
Avec son dernier ouvrage, Un scandale d’Etat, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent, Bernard Tapie publie sa vérité au sujet du contentieux qui l’oppose au Crédit lyonnais, pour la vente de la société Adidas durant laquelle la banque a réalisé un bénéfice. L’arbitrage qui a été signé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, lui a valu une mise en examen pour escroquerie en bande organisée par des juges d’instruction du pôle financier du Tribunal de grande instance de Paris.
LES CONSÉQUENCES DE L’ALTERNANCE
Dans ce témoignage, l’auteur relate qu’après sa nomination comme ministre sous François Mitterrand un accord avait été trouvé avec le Crédit Lyonnais. Certaines portes s’ouvrent en effet plus aisément, lorsque l’on est introduit.
Toutefois, coup de théâtre ! La cohabitation de 1993-1995 a tout remis en question, raison pour laquelle il critique vertement Edouard Balladur dans cet ouvrage. Une fois premier ministre, raconte l’auteur, celui-ci installe une « coterie » au pouvoir. Et il remet en question l’accord qui avait été trouvé avec le Crédit lyonnais. Il reproche également à Lionel Jospin son hostilité, qui l’aurait conduit à faire traîner les événements.
LA SAGA JUDICIAIRE
Bernard Tapie dénonce un parti pris du monde politique et de la justice française contre lui. La classe politique et les magistrats lui seraient hostiles. A cet égard, une mention particulière est réservée à Eva Joly, en sa qualité de magistrat.
En effet, elle avait ouvert une information judiciaire contre Bernard Tapie pour des faits pénalement répréhensibles. De ce simple fait, elle est disqualifiée par l’auteur. Il en va de même de tous ceux qui le critiquent, comme par exemple le doyen de l’Université de Versailles Thomas Clay ou du député Charles de Courson.
L’auteur décrit aussi l’émergence d’une nouvelle justice, ce qu’il appelle la « justice spectacle », qui aurait complètement perdu la tête à la suite de la médiatisation de ses démêlés judiciaires. Il en ferait injustement les frais depuis des années. Mais il parait contribuer directement à cet « étalage », car après quatre jours de garde à vue il court au 20H de France Télévisions pour dénoncer et critiquer sa mise en examen.
L’ARBITRAGE EST INCONTESTABLE
Selon lui, l’arbitrage rendu sous le quinquennat du précédent président serait parfaitement indiscutable, et ceci pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il n’y aurait jamais eu vol de sa part. De plus, il n’aurait pas récupéré tout ce qu’il perdit autrefois avec le Crédit lyonnais. Il n’aurait pas non plus bénéficié de traitement de faveur. Enfin, la sentence serait tout à fait incontestable.
Avec cet ouvrage, Bernard Tapie propose sa lecture de son affaire. Ce faisant, il présente un raisonnement juridique. Dans ce genre d’affaire, tout dépend de la présentation. Ce qui est dommage, ce sont les nombreuses attaques personnelles parfois très limites contre les intervenants de cette affaire aux multiples dimensions.
L’OISEAU BARIOLE
L’ancien homme d’affaires esquisse un parallèle avec L’oiseau bariolé, un roman controversé de Jerzy Kosinski, un Juif polonais réfugié aux Etats-Unis d’Amérique depuis 1957. Dans ce roman, il est question d’un jeune garçon choqué par l’infinie cruauté humaine, et de la Shoah. Cette seule comparaison de l’auteur tend à souligner le caractère particulier de Bernard Tapie, prompt à verser dans la démesure.
Néanmoins, il soulève des problèmes extrêmement intéressants, comme par exemple le thème du « pantouflage ». En l’espèce, des hauts fonctionnaires travaillent au nom de l’Etat dans des dossiers financiers, puis s’orientent vers les sociétés privées qu’ils ont contribué à créer ou à structurer comme fonctionnaires.
De ce point de vue, rappelle Bernard Tapie, les hauts fonctionnaires et les hommes politiques ont une lecture évidemment très personnelle des conflits d’intérêts. Martin Hirsh a évoqué ce problème des conflits d’intérêts dans un ouvrage qui a fait beaucoup de bruit l’an dernier.
Bernard Tapie, évoque l’affaire « Executive life », où le Crédit lyonnais a violé la réglementation de l’Etat de Californie en achetant une compagnie d’assurances. Cette faute n’a pas été sanctionnée par son autorité de tutelle, car selon l’auteur ce sont les mêmes fonctionnaires qui contrôlent, puis travaillent dans la banque. Cette affaire a pourtant coûté très cher au contribuable français.
Il reconnait par ailleurs avoir eu de nombreux rendez-vous avec l’ancien président de la république Nicolas Sarkozy. Cela laisse pour le moins pantois ! Le simple quidam qui a un contentieux de ce type ne bénéficie pas de ce traitement particulier, alors que le chef de l’Etat est censé être le garant constitutionnel de l’égalité républicaine. Ces entrevues déstabilisent la justice républicaine et, par suite, l’affaiblissent.
L’affaireTapie témoigne des dérives de la justice, qui n’est pas la même pour tous. Indépendamment de la décision de recourir à l’arbitrage, rien que le montant alloué au titre du préjudice moral bouleverse (pour ne pas dire plus…) dans le monde des affaires. Ce qui n’est pas peu dire ! Habituellement, le préjudice moral n’est indemnisé qu’à hauteur d’un million d’euros au maximum, et non pas de quarante-cinq millions comme c’est le cas de l’auteur. Dans le droit des affaires, il est rare d’indemniser ce préjudice, car l’aléa existe.
Bernard Tapie, « Un scandale d’Etat, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent », Plon, sortie le 27 juin 2013, 230 p., 14,90 euros.
Visuel (c) : couverture de Un scandale d’Etat, oui ! Mais pas celui qu’ils vous racontent de Bernard Tapie