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Eric Vuillard et le colonialisme

Eric Vuillard et le colonialisme

En cette journée de commémoration annuelle de l’abolition de l’esclavage, le récent livre d’Eric Vuillard, Congo traitant du colonialisme, apparaît particulièrement opportun. Dans un style affirmé, l’auteur nous conte les atrocités de l’histoire coloniale du Congo, adoptant le ton ferme d’un réquisitoire.

Les voilà tous réunis solennellement autour d’une table en cette année 1884, avec au centre la carte d’Afrique qu’ils s’apprêtent à disséquer. Eric Vuillard les décrit scrupuleusement un à un, ironisant de leur richesse outrancière et de leur inconsistance. Il ne se dégage de leur épiderme qu’une liste de biens matériels. C’est le goût des « belles demeures » qui ouvre le portrait de l’anglais Sir Edward Malet. Tout chez eux ne semble qu’être une histoire de comptabilité. Après tout, la licence nécessaire au négrier « prévoit tout : le nombre de captifs que l’on peut prendre, la répartition par sexe, les lieux d’achat et de vente. » Tout n’est qu’affaire de calcul. L’auteur ne leur offre pas même le bénéfice du doute : engoncés dans leurs costumes, pas un brin d’intelligence ne s’échappe de leur être. Bien qu’emprunts de démesures, ils ne sont pas même à la hauteur  divine de l’hybris. Afférés devant une mappemonde et posant frénétiquement leurs petits traits d’encre, ils se répartissent l’Afrique jusqu’au plus petit recoin, pinaillant sur la réparation d’une cage d’escalier ou l’entretien de boîtes aux lettres. Ils s’émerveillent devant le futur paradis qu’est le Congo, qu’ils imaginent fait de brousses et de boues, chacun rêvant selon ses propres coutumes « le turc rêvant turc, l’anglais rêvant anglais ». Un à un ils y apposent leurs petites traditions, leurs petites habitudes et imaginent déjà une Afrique faite de réseaux urbains, de faubourgs, de comptoirs…  Ils ont trouvé la Terre Promise.

Leurs airs éthérés sont puissamment écrasés à l’arrivée du grand gagnant de l’affaire, Léopold II, roi des belges. Aux attitudes quelque peu naïves succède la puissance éhontée d’un être assoiffé de richesses, bientôt accompagné de Stanley et Fiévez. Il ne s’agit plus de faire du Congo une colonie, mais une société anonyme. Diplomatie, politique sont supplantées par le pouvoir monétaire, la soif de richesses. Le contrat est signé un 26 février 1885. En rois mages, les diplomates s’apprêtent à rejoindre la Terre Promise, sous des vents déchaînés, pour recevoir ce qui leur est dû. Et voilà que la puissance capitaliste s’abat sur le continent à feu et à sang. C’est un certain Lemaire qui préside aux massacres, aux cris, au sang. Un autre, Fiévez en quête de caoutchouc, s’adonne à des mutilations. « Il n’y a pas de mystère Fiévez » : il n’est qu’un criminel assoiffé de sang.

Si Eric Vuillard s’attache à portraiturer ses personnages, ils ne le sont que sous le prisme de son propre jugement, sans cesse mis à l’épreuve tantôt de son écoeurement, tantôt d’une compassion mesurée. En rousseauiste, Eric Vuillard dresse la douce image d’une Afrique restée à l’état de nature et sournoisement exploitée par une civilisation en quête de richesses. Nous confrontant aux difficiles photographies d’enfants mutilés, il décrit Yoka, petit être innocent ne demandant qu’à retrouver sa mère et sa rivière. La pureté de l’un en quête d’une vie simple se heurte à la brutalité sanguinaire et l’extravagance de l’autre, opposant la magie des terres africaines à la violence dans sa plus grande crudité, le sauvage au baroque où un « Léopold se fait Pharaon ». Un à un, les individus de retour dans leur pays natal, Lemaire puis Fiévez, se désagrègent. Hantés par le remord, on assiste en spectateur à leur lente décadence, mentale puis physique. Comme Adam et Eve, ils n’ont goûté qu’un temps au Paradis et en ont vite été chassés.

Avec Congo, Eric Vuillard s’empare d’un moment de l’histoire, pour en dégager toutes les violences et absurdités. Toutefois, il ne se fait pas juge, donnant uniquement à voir l’agonie procurée par la prise de conscience et la destinée présidée par ces « puissances d’Europe » de laquelle ne subsiste que « la pierre nue de nos vérités ». Usant successivement d’un langage châtié et trivial, il conte, sur un  fond de paganisme et de christianisme, les ravages d’une civilisation en quête d’abondances, présidée par une puissance machinique, l’éloignant progressivement des principes fondamentaux de la nature.

 

Crédit photo : Eric Vuillard © Mélania Avanzato

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DIANE ZORZI DU MAGAZINE DES ENCHÈRES

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