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« En attendant Boulez », un polar dans le monde de la musique classique

« En attendant Boulez », un polar dans le monde de la musique classique

05 July 2019 | PAR Victoria Okada

Un thriller dans le monde du classique ? Yann Ollivier a osé et nous n’avons pas pu lâcher En attendant Boulez, paru chez Plon.

La salle de la Philharmonie est en ébullition pour une grande soirée. Entertainment Inc., grande major de la culture et du divertissement (« plutôt du divertissement que de la culture », dit l’un des personnages), investit un grand moyen de communication pour lancer le projet « Chopart », un logiciel d’intelligence artificielle pour composer de la musique. La pianiste chinoise Han Li, une grande vedette du moment, doit y interpréter le Concerto écrite par ce logiciel, mais elle est introuvable… C’est seulement lors du cocktail en grand pompe après le concert qu’on fait la découverte macabre de la pianiste. Et c’est le début d’une série de meurtres qui se produisent tous au sein d’une salle de concert dédiée à la musique classique…

Pour Yann Ollivier, ancien directeur d’Universal Music Classics et ex-président des Victoires de la musique classique (édition 2019 est ici), ce milieu n’a aucune secret. Il met d’abord à l’honneur de principales salles de la capitale : la Philharmonie, la Seine Musicale, la Maison de la Radio, le Palais Garnier, mais aussi la Salle Gaveau et même le temple de Bon Secours servi pour des enregistrements de disques. Les descriptions exactes de chaque salle, détaillées jusqu’aux coulisses (et aussi la distinction des termes backstage et coulisses dans leur utilisation !), avec celle, réelle, de leur environnement immédiat (quartier, rues, cafés et restaurants), donnent la crédibilité au récit. Quant aux personnages, musiciens, critiques, producteurs, musicologues ou compositeurs, ils sont des fruits de l’observation de longue date de l’auteur. On reconnaît aisément les types de personnes qui peuplent ce monde feutré (selon l’expression consacrée) ; leurs situations et leurs rôles sont dépeints avec autant de précision — ce qui n’empêche pas de laisser imaginations et fantaisies entre les lignes — que chaque lecteur trouvera son bonheur : ceux qui connaissent le milieu se régalent en se visualisant dans le même genre de situation, et ceux qui ne connaissent pas peuvent le découvrir tel quel, grâce à l’inventaire authentique de lieux et de personnages (et on pense forcément et ironiquement au ratage ridicule de la série Philharmonia diffusée au début de l’année !)

On découvre au fil des pages des problèmes éthiques, déontologiques et philosophiques que génèrent l’intelligence artificielle, des questionnements auxquels le monde musical, surtout celui de l’industrie musicale, est loin d’être prêt à apporter la réponse : qu’est-ce qu’une œuvre originale ? Que signifie la « créativité » ? Quelle est l’inspiration humaine dans une œuvre de musique ? Puis, Yann Ollivier prolonge le débat pour aborder la question des droits d’auteur : un logiciel peut-il être considéré comme l’auteur d’une œuvre artistique ? Ou ce droit revient-il à son concepteur ou à son programmateur ? Autant de sujets passionnants auxquels nous devons tous un jour à l’autre apporter la solution…

Le récit, haletant, se lit d’un seul trait. D’ailleurs l’histoire ne nous lâche pas, nous voulons savoir toujours la suite. En revanche, pour ce qui est de l’écriture, quelques éléments nous agacent sérieusement, surtout la répétition fatigante de certains termes et expressions. L’héroïne Jade Valois, la policière au cœur de l’enquête, « sursaute » à chaque fois qu’elle voit quelque chose qui rappelle ceci et cela ; Qu’elle prenne une longue douche chaude ou qu’elle marche dans la nuit, « cela lui fait du bien ». Beaucoup « optent pour » un choix, « a priori » le meilleur du moment ou par défaut. Tout le monde s’exclament « merde ! » face à des « cons » trop nombreux, sans oublier la tête « rubiconde » de certains personnages… Et encore. À la page 33 : « procéder discrètement au ravitaillement » puis on lit trois lignes plus loin : « cela permettait d’échanger discrètement leurs impressions ». A la page 58, ligne 10 : « Brana reprenait le contrôle de la discussion » et à la 8e depuis la fin de la page suivante, : « il fallait qu’elle reprenne le contrôle de la discussion ». Ou à la page 194, 5e ligne avant la fin : « L’autre policier […] tentait de maintenir […] » et à la 3e ligne avant la fin : « la demi-douzaine de personnes qui tentaient toujours d’apercevoir […] »

Nous nous attendions à ce que les situations du policier Brana, de la peintre chinoise ou de la pianiste Camille Dessandre soient plus explorées (notamment la psychologie de cette dernière en tant que « petit artiste » qui ne fera jamais d’objet de relais médiatique), mais malgré tout, l’ensemble du récit fonctionne de manière fluide, l’histoire retient le lecteur en haleine. A la fin, lorsque tout se précipite, le plume de Yann Ollivier accélère le rythme et le changement de séquences devient plus fréquent, comme pour superposer plusieurs scènes, créant un effet cinématographique assez époustouflant.

En dépit de quelques maladresses liées à l’écriture, ce premier roman présente une lecture distrayante de l’été et nous vous recommandons de l’emmener en vacances !

Yann Ollivier, En attendant Boulez, Plon, mai 2019, 324 pages broché.

visuel : couverture du livre

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Victoria Okada

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