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Deuxième génération, la BD autobiographique émouvante de Michel Kichka

30 June 2012 | PAR Yaël Hirsch

Dans “Deuxième génération”, sous-titré “Ce que je n’ai pas dit à mon père”, le dessinateur belge installé en Israël Michel Kichka revient avec courage et humour sur son enfance auprès d’un père survivant des camps de la mort. A la fois cru et illuminé par l’amour.

Dans la Belgique francophone et industrielle des années 1950 et 1960, Michel Kichka alias Mitchi est le fils préféré de quatre enfants. Premier à l’école, poli, ordonné, il fait tout ce qu’il faut pour répondre aux exigences de son père. Figure imposante, seul survivant parmi sa famille des camps de la mort où il a été déporté alors qu’il était encore adolescent, ce patriarche si difficile à comprendre impose sa loi avec d’autant plus de fermeté que sa présence même paraît comme un miracle. A table, la déportation est un sujet de blagues, d’évocations vagues,  mais de ce qui s’est passé réellement n’est jamais vraiment discuté. Seule demeure l’énigmatique impératif pour la “Deuxième Génération” de prouver non seulement qu’elle est en vit, mais également qu’elle réussit brillamment, afin de permettre aux morts et aux survivants de la Shoah de “prendre leur revanche sur Hitler”. Ce n’est qu’après le suicide du frère de Kichka que la langue du père se délie pour raconter, encore et souvent, à sa famille mais aussi en témoin auprès de scolaires ou de pèlerins à Auschwitz, le souvenir de sa détention et de sa survie.

Malgré les nombreuses révérences et références à Art Spiegelman, ce n’est pas derrière le masque d’une souris ou de tout autre animal que Kichka parle de son histoire. Avec une franchise et une intégrité bouleversantes, il défie un tabou quand il décrit la difficulté de grandir auprès d’un survivant de la Shoah. L’image est à l’avenant du texte, et montre avec une lucidité stupéfiante ce que tous préféreraient peut-être passer sous silence face à l’héroïsme que constitue le simple fait de rester en vie dans un camps d’extermination nazi. Et c’est peut-être parce que Kichka ne cache rien des petites phobies et des grandes habitudes père, parce qu’il revient avec méthode sur son propre ressenti sans jamais se cacher, qu’il livre le plus beau message d’amour celui qui semble être toujours resté une énigme et un point central dans sa vie d’adolescent, puis d’adulte. Longuement mûri, sans gants et parfois brutal, “Deuxième Génération” est néanmoins à chaque page drôle et tendre, car en n’acceptant aucune concession, en voulant transmettre lui aussi, à son niveau, son expérience des effets de la Shoah sur les familles qui ont été touchées, Kichka arrive à une distance parfaite avec son vécu : une distance qui permet de voir ce qui s’est passé sans jamais créer de carapace d’insensibilité. Une très belle lettre au père où nombre de descendants de survivants de la Shoah et certainement d’autres génocides se reconnaîtront et reconnaîtront leurs parents.

Michel Kichka, “Deuxième génération, Ce que je n’ai pas dit à mon père”, Dargaud, 104 p., noir & blanc, 17.95 euros. Sortie le 30 mars 2012.

 

 

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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