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David Lawday, Un regard britannique sur Danton

18 November 2012 | PAR Jean-Paul Fourmont

Après des études à l’Université d’Oxford, David Lawday a travaillé pendant quelques vingt années comme correspondant de presse en France pour la célèbre revue britannique The Economist. En 2009, il a consacré un riche ouvrage à la Révolution française et plus spécifiquement au controversé Georges-Jacques Danton. Cette belle biographie vient de faire l’objet d’une traduction en français de la part de Jean-François Sené, laquelle est récemment parue aux éditions Albin Michel.

« La nature m’a donné en partage les formes athlétiques, et la physionomie âpre de la liberté. Exempt du malheur d’être né d’une de ces races privilégiées, suivant nos vieilles institutions, et par cela même abâtardies, j’ai conservé en créant seul mon existence civile, toute ma vigueur native, sans cependant cesser un seul instant, soit dans ma vie privée soit dans la profession que j’avais embrassée, de prouver que je savais allier le sang-froid de la raison à la chaleur de l’âme et à la fermeté du caractère » (p. 155). C’est en ces termes que Danton décrivait lui-même sa personnalité à bien des égards haute en couleur. Avec Mirabeau, La Fayette et Robespierre, Danton fait incontestablement partie des figures proéminentes de la Révolution française. Dans le présent ouvrage, David Lawday revient sur un certain nombre de poncifs faisant de Danton un monstre vil, corrompu, ambigu et dépourvu du moindre scrupule. Le journaliste donne ici à voir un personnage à la fois flamboyant, impétueux et avide qui, à vingt-neuf ans, entra cœur et âme dans la Révolution, mais qui succomba sur l’échafaud à l’âge de trente-quatre ans.

Le « Mirabeau de la canaille »

Né à Arcis-sur-Aube en 1759, Georges-Jacques Danton était le fils d’un procureur du baillage d’Arcis. Après un passage chez les Oratoriens de Troyes, le jeune homme à la physionomie si impressionnante entreprit des études de droit à Paris, avant de devenir avocat au Conseil du roi en 1787. La Révolution fut l’occasion pour le jeune juriste d’employer à bon escient son trop-plein d’énergie. Le « Mirabeau de la canaille » devint promptement très populaire grâce notamment à son inlassable activité auprès du club des Cordeliers.

A la suite de la tristement célèbre journée du Champs-de-Mars, le 17 juillet 1791, Danton s’opposa au général La Fayette, bien décidé à ce que Louis XVI se maintienne sur le trône pour que l’ordre subsiste. Menacé d’arrestation, Georges-Jacques prit la fuite pour se réfugier outre-Manche, où il fréquenta quelques personnalités politiques de tout premier plan. Lorsqu’il revint en France, en décembre 1791, il réussit à se faire élire procureur adjoint de la Commune de Paris. Danton affirma avoir eu une influence tout à fait considérable lors de la journée du 10-août 1792 qui précipita la monarchie dans les poubelles de l’Histoire.

Le vote de la mort de « Louis Capet »

Après être entré au Conseil exécutif, le jouisseur invétéré qu’était Danton devint Ministre de la justice. Il parvint à galvaniser le peuple de France pour repousser l’envahisseur prussien, lequel avait déjà atteint la Champagne. Toutefois, cela n’alla pas sans un soutien – au moins tacite – aux Massacres de Septembre. Alors qu’il offrit à Lameth de sauver la tête du monarque lors d’une entrevue clandestine à son domicile, soucieux de ne pas se compromettre trop ostensiblement, le député élu à la Convention capitula en rase campagne et vota donc la mort du roi sans condition.

A la tribune de la Convention, le « taureau » défendit l’idée appelée à faire florès des frontières naturelles de la France, ce qui justifiait d’après lui l’annexion pure et simple de la Belgique. Le 31 janvier 1793, il déclara que « les limites de la France sont marquées par la nature. Nous les atteindrons dans leurs quatre points : à l’Océan, au Rhin, aux Alpes, aux Pyrénées. On nous menace des rois ! Vous leur avez jeté le gant, ce gant est la tête d’un roi, c’est le signal de leur mort prochaine. On vous menace de l’Angleterre ! Les tyrans de l’Angleterre sont morts » (p. 249).

« La Révolution dévore ses propres enfants »

En lutte contre ses adversaires de la Gironde, qui n’acceptèrent jamais ses avances à cause de la méfiance de Madame Roland, Danton souhaitait négocier la paix avec les monarques coalisés contre la jeune République française. En outre, il contribua on ne peut plus activement à la création du Comité de salut public (6 avril 1793), qu’il dirigea jusqu’en juillet. Il ne s’opposa en aucune façon à l’élimination des Girondins. Peu à peu, son étoile déclina et Danton fut chassé du Comité de salut public par les membres de la Convention. Les Montagnards proches de Robespierre s’y imposèrent par la suite.

Après la mort de son épouse Gabrielle lors d’un accouchement difficile, Georges-Jacques s’éloigna de Paris, gagna l’Aube, puis se remaria avec une jeune-fille de dix-sept ans. A la nuit tombée, discrètement, le mariage fut célébré par un prêtre réfractaire… Sa popularité décrut. A son retour, avec son rival Robespierre entré entre-temps au Comité de salut public, il combattit la déchristianisation du pays et plaida pour davantage d’indulgence, i.e. pour la fin de la Terreur, ainsi que pour l’entrée en vigueur de la Constitution montagnarde de 1793 qui avait été suspendue en raison des circonstances exceptionnelles de l’époque (lutte contre les ennemis intérieurs et extérieurs).

Après la disparition des séides de Jacques-René Hébert, pour lesquels l’« impayable » Danton ne montra pas la moindre indulgence (sic), les Montagnards robespierristes s’en prirent aux Dantonistes. Durant la nuit du 29 au 30 mars 1794, ceux-ci furent arrêtés. Le Tribunal révolutionnaire, qu’ironie de l’histoire il créa quelques temps auparavant pour enrayer la mollesse révolutionnaire, le condamna à mort au terme d’un simulacre de procès : certes il se défendit vigoureusement, mais, de peur que son éloquence lui attire la sympathie des foules, les juges l’envoyèrent à l’échafaud sans débats. Le 5 avril 1794, il fut exécuté et lança à son bourreau : « tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine » (p. 364).

Une approche caricaturale ?

Un fort bel ouvrage, vraiment très agréable à lire, dont on peut néanmoins regretter l’excessive complaisance à l’égard de Danton (sa corruption est constamment passée sous silence) ainsi qu’une très grande dureté en ce qui concerne Robespierre. Lui refusant le moindre mérite, quel qu’il soit, l’Incorruptible est sans cesse présenté comme un « eunuque » falot, cruel, avide de pouvoir et incapable du moindre sentiment humain… On dirait bien que la rivalité qui opposa naguère le Cordelier au Jacobin se poursuit outre-tombe !

David Lawday, “Danton, le géant de la révolution”, Albin Michel, 2012, 400 p., 25 euros.

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Jean-Paul Fourmont
Jean-Paul Fourmont est avocat (DEA de droit des affaires). Il se passionne pour la culture, les livres, les gens et l'humanité. Contact : [email protected]

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