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Comprendre les Etats-Unis à l’heure de l’élection présidentielle

Comprendre les Etats-Unis à l’heure de l’élection présidentielle

13 August 2020 | PAR Franck Jacquet

Le contexte américain intérieur et extérieur est de plus en plus tendu : à l’intérieur, Donald Trump semble miner d’ores et déjà les élections à venir en pointant un vote par correspondance qui lui serait défavorable et insincère ; à l’extérieur il use en partie des tensions avec la Chine (TikTok, Hong-Kong, consulats chinois aux Etats-Unis, visite ministérielle à Taïwan…) pour troubler le jeu électoral. Les élections auront lieu à l’automne 2020, si une nouvelle surprise propre à un Président imprévisible et velléitaire ne vient pas tout bouleverser. Pour les comprendre, l’essayiste Didier Combeau propose un texte dense en informations et documenté bien qu’un peu allusif pour les non-connaisseurs : Être américain aujourd’hui publié à la fin du printemps rappelle des jalons majeurs en vue de la campagne qui débute réellement ces semaines avec la désignation de Kamala Harris en Vice-présidente potentielle et destinée à un brouhaha inédit.

 

Note de la rédaction : 3/5 

De quoi Trump est-il le nom ?

L’auteur retrace en plusieurs chapitres thématiques, mais en confrontant ces différents thèmes (la question de la sécurité et celle des addictions, les violences faites aux femmes et la place des médias aux Etats-Unis…), ce qui anime depuis quelques années l’opinion. Cette dernière est en effervescence sur bien des points, et au fond pour D. Combeau, il s’agit de comprendre que l’actuel locataires de la Maison Blanche n’est pas (qu’)un furieux qui utilise les réseaux sociaux pour monter des pans de population contre les autres, mais il est avant tout un symptôme, une forme de représentant de toutes les incertitudes qui traversent le corps américain. D’ailleurs, en replaçant ces problèmes contemporains dans l’histoire longue, sur de nombreux plans on constate que Trump est finalement loin d’être un épiphénomène du politique étatsunien. On pourra regretter que l’optique ici est purement nationale, négligeant le fait que ce qu’on observe aux Etats-Unis se perçoit tout aussi bien ailleurs, et que donc la compréhension de ce qu’est « être américain » est aussi le fait de la mondialisation et de ces effets. Cet aspect transparaît quelque part dans la question migratoire… Mais l’optique est résolument interne : lorsqu’il s’agit de comprendre par exemple l’hystérisation autour du mur établi à la frontière avec le Mexique, il faut aller au-delà des déclarations trumpiennes pour prendre en compte que le long terme migratoire est fait aux Etats-Unis de quotas, que le durcissement face à certaines provenances est récurrent en fonction des aléas de l’histoire (vis-à-vis des Européens de l’Est durant longtemps), que le durcissement en matière d’accueil est à replacer dans la période reaganienne, que l’idée d’une clôture au Sud vis-à-vis des braceros, pourtant essentiels à des tâches peu rémunératrices, remonte aux années 1940 et, enfin, que les premières mesures d’édification de clôture datent de 1994 et de 2006 (avec des votes favorables de personnalités comme… d’éminents démocrates). Dans de nombreux cas, D. Trump représente donc bien plusieurs malaises d’une société très polarisée, et les instrumentaliser lui permet sans aucun doute de continuer quelques temps à prospérer dans l’opinion.

Petit guide de la société et de la politique américaine en 2020

Incontestablement, ce que met en avant l’auteur est la polarisation qui touche le débat public américain. Les jalons historiques dans lesquels l’auteur replace la question de l’immigration, celle de la place des femmes, la valeur travail, la question de l’identité, le rapport aux armes ou encore la place des minorités permettent d’éclairer les enjeux politiques et sociaux contemporains. Il s’agit parfois d’un tableau certes impressionniste qui force le lecteur à tisser les liens, à raccrocher passé et présent. C’est donc une toile de fond et de long terme que le livre propose. Mais il met au jour pour ceux qui ignorent la culture politique américaine (ou plutôt les cultures politiques de ce pays) tant des mythes fondateurs que des marqueurs de long cours du système politique qui nous est finalement si étranger dans une France jacobine. Le poids des Etats du Sud et donc des grands propriétaires esclavagistes dans la formation du système confédéral puis fédéral à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle laisse incontestablement des traces, alors que l’on se limite souvent à la prise en compte des déclarations, donc celle des droits, de l’indépendance et de la constitution comme étant les piliers de l’émergence de la nation… La manière de construire les systèmes électoraux en est encore marquée. L’auteur effleure de même toutes sortes de questionnements relevés par les spécialistes des Etats-Unis depuis quelques années, remettant en cause justement quelques-uns de ces mythes issus de la période moderne pour comprendre comment aujourd’hui, les Américains peuvent être tant divisés. Récemment le « projet 1619 » porté par le NY Times relevait ces polémiques sur la naissance des Etats-Unis, qu’il ne fallait pas situer par rapport à 1776 et à la libération, mais par rapport à l’arrivée de colons esclavagistes et conquérants des autochtones… Evidemment, les levées de bouclier furent et demeurent nombreuses.
Qu’apporte D. Combeau ici ? Il montre que non seulement les scissions sont héritées du long terme, d’événements césures patiemment construits, mais surtout que celles-ci polarisent de plus en plus des pans d’opinion : les conservateurs sont pour une plus grande partie d’entre eux des conservateurs radicaux de même que les démocrates revendiqués sont constitués désormais d’un pans de ce que dans les années 1970 on aurait qualifiés de « socialistes » ou de « dissidents », ce qui dans le vocabulaire politique américain est plus qu’excluant. Cette polarisation qui empêche le consensus est largement le fait, ce qui apparaît à plusieurs reprises dans la démonstration de l’auteur, comme le fait notamment des think tanks qu’ils soient progressistes (comme ceux financés par G. Soros) ou conservateurs (les frères Koch et le Cato Institute sont mentionnés régulièrement). Elle est aussi le fait de l’opposition de plus en plus structurelle entre Etat fédéré et Etat fédéral : les lois dérogatoires des Etats par rapport au fédéral inquiètent dans l’opinion française, notamment lorsqu’il s’agit de réduire les possibilités d’accès au droit à l’avortement, mais à bien y regarder, les Etats qui remettent le plus en cause la légitimité et la régulation instaurée par Washington sont souvent des Etats progressistes comme la Californie (l’auteur développe le cas de la législation sur la cannabis). Si les raisons sont là encore nombreuses, il n’en demeure pas moins que le réflexe localiste est loin d’être l’apanage des évangélistes, « pro-life », anti-impôt, WASP… Les lignes de tension se recoupent et sont complexes, mais le cosnensus est plus difficile à établir pour les checks and balances, même dans un temps court.

Les Etats-Unis d’aujourd’hui : si loin, si proche de l’Europe…

Par ce tableau de la société américaine, de ses contradictions et de ses héritages marquants, D. Combeau nous permet donc d’approcher les difficultés du débat public contemporain. Pourtant, comme le cas G. Floyd nous l’a rappelé, ces problématiques sont largement transnationales et concernent souvent au moins tout l’Occident démocratique. Ne considérer que le cas américain dans un contexte électoral éclaire incontestablement, mais les sociétés européennes sont traversées par les mêmes césures identitaires, sociales, culturelles et politiques. Surtout, comme aux Etats-Unis, si lointains dans le système politique fédératif, par leur « destinée manifeste »…, les Européens connaissent aujourd’hui un blocage de leur système démocratique et électoral par une polarisation similaire des citoyens. S’il y a repli de certains sur la sphère privée, d’autres se concentrent sur un clivage intérieur / extérieur, favorisant l’essor des populismes. Un autre intérêt de l’ouvrage réside donc dans le fait que le cas américain illustre voir préfigure ce qui pourrait bien survenir dans le Vieux continent : d’un côté, une Biélorussie où la tendance démocratique se durcit, de l’autre une Hongrie en passe de ne plus être pleinement à classer dans les démocraties libérales et véritablement xénophobe, d’un autre côté enfin des cultures minoritaires entretenant un refus du consensus au nom de l’affirmation d’une histoire traumatique dans les opinions publiques d’Europe occidentale.

 

Informations : Didier, Combeau, Être américain aujourd’hui ; Les enjeux d’une élection présidentielle, Paris, Gallimard (« Le Débat »), juin 2020 : 283 p. – 20 euros – ISBN : 978-2-07-288056-8

 

 

 

 

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Franck Jacquet
Diplômé de Sciences Po et de l'ESCP - Enseigne en classes préparatoires publiques et privées et en école de commerce - Chercheur en théorie politique et en histoire, esthétique, notamment sur les nationalismes - Publie dans des revues scientifiques ou grand public (On the Field...), rédactions en ligne (Le nouveau cénacle...) - Se demande ce qu'il y après la Recherche (du temps perdu...)

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