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Nous étions les ennemis de George Takei, Steven Scott et Justin Eisinger

Nous étions les ennemis de George Takei, Steven Scott et Justin Eisinger

14 February 2021 | PAR Katia Bayer

Sorti chez Futuropolis, Nous étions les ennemis est un roman graphique en noir et blanc qui a trait à un pan méconnu de l’histoire américaine : l’emprisonnement en 1942 de 100.000 Japonais de nationalité américaine pendant la seconde guerre mondiale, conséquence indirecte de la guerre entre les USA et le Japon suite à l’attaque de Pearl Harbor.

Le livre s’intéresse plus particulièrement à la vie de George Takei (jouant le personnage d’Hikaru Sulu dans Star Trek) qui a connu enfant la privation de libertés et le relogement dans plusieurs camps d’internement, et a vu ses parents confrontés à l’humiliation, l’incertitude et la peur.

L’intérêt de cet album de 208 pages, récompensé du Prix Will Eisner pour une BD documentaire, est bel et bien son sujet. George Takei, devenu célèbre grâce à ce petit machin qu’est Star Trek, profite de sa médiatisation pour raconter son histoire à la première personne. Derrière l’acteur, on découvre les souffrances, les combats de son père, chef de bloc devant prendre des décisions dans l’urgence pour essayer de sauver sa famille face à l’aberration et au racisme des officiels de l’époque (allant des gouverneurs au Président des Etats-Unis, Roosevelt himself). Aujourd’hui, adulte et vieillissant, il se souvient et nous raconte. L’ouvrage dédié aux parents de Takei s’ouvre sur le soir où tout bascule, où la famille au complet est contrainte de quitter son domicile pour une destination inconnue en emmenant juste quelques affaires avec elle.

Du jour au lendemain ou presque, ceux que l’on surnomme les “Japs” perdent tout : leurs commerces, leurs biens, l’accès à leurs comptes en banque, leurs relations. Décrétés ennemis de la nation, ils sont confrontés au racisme ouvert de leurs anciens concitoyens (les médias y contribuent) et sont relogés dans des camps d’internement. La famille Takei échoue ainsi dans un hippodrome, les stalles d’une écurie accueillant ainsi les nouveaux résidents.

Ce qui est intéressant dans cette BD, c’est la façon dont l’enfant regarde et comprend la guerre, celle aussi dont sa famille essaye de le protéger. Lorsqu’ils sont contraints de repartir sous la menace pour une nouvelle destination inconnue, le père dit par exemple à son fils qu’ils partent en vacances, ce que celui-ci envisage comme une bonne nouvelle. Par contre, ce qu’il ne comprend pas, c’est pourquoi ses compagnons de voyage ont le visage fermé, inquiet, car après tout, les vacances, c’est plutôt positif !

D’autres choses très dures et en même temps très concrètes se dévoilent aussi dans cet album comme le fait qu’en arrivant en gare, les prisonniers doivent rabattre les stores afin de ne pas être vus (car oui, l’emprisonnement, c’est moche, encore plus quand des enfants sont impliqués). Les deux auteurs réussissent aussi à transmettre la chaleur, la bouffe dégueulasse, l’humiliation, les arrestations arbitraires mais aussi les jeux d’enfants, l’esprit de famille, la solidarité et aussi la méfiance réciproque entre les co-détenus.

Il y a de l’émotion bien entendu dans cet ouvrage mais aussi – et c’est salutaire – de l’humour. George Takei reste un enfant à cette période. Avec son frère, il joue, sort ses premières insultes, rêve, voit la neige pour la première fois et … conçoit les départs forcés comme autant de nouveaux départs en vacances. Une fois grand, il raconte son histoire à Steven Scott et Justin Eisinger, et Harmony Becker, elle, la met joliment en images. C’est une bien bonne idée de passer par la BD pour transmettre son récit et pour se permettre des bonds dans le temps, histoire d’illustrer les changements de statuts. L’enfant a grandi. De victime, il est devenu un ardent défenseur de la justice. Son histoire fait partie de l’Histoire des Etats-Unis et peut être transmise à une nouvelle génération qui, sensible à la forme du roman graphique et à l’image, est en mesure de s’interroger sur les zones d’ombre et de merde de l’Histoire.

 

Nous étions les ennemis de George Takei, Steven Scott et Justin Eisinger. Dessin : Harmony Becker. Edition Futuropolis, 208 pages, 25 €

Visuels : Futuropolis

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Katia Bayer

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