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“Joker”, un roman noir très graphique

“Joker”, un roman noir très graphique

28 May 2020 | PAR Laetitia Larralde

Avec la réédition de Joker de Benjamin Adam, la Pastèque nous offre la possibilité de (re)découvrir une bande dessinée facétieuse nourrie à la satire.

La famille Battie, propriétaire de l’empire Batimax, est singulière. Sally, la veuve à la tête de Batimax, est en voyage autour du monde depuis six ans, son fils Hawk, l’héritier toujours célibataire, passe ses journées à pêcher la truite, tandis que ses neveux, Herb et Jed, sont de simples ouvriers dans l’entreprise familiale, vivant chacun avec leurs femmes Charlène et Darlène, sœurs, et quinze enfants à eux deux. Mais les cousins Hawk, Herb et Jed ont mis en place un système particulier : chaque dimanche ils se retrouvent pour jouer aux cartes, et celui qui termine avec le joker peut choisir d’échanger sa vie, son métier, sa femme, avec l’un des deux autres pour la semaine. Le système est proche de celui d’une secte, mais fonctionne tant que personne ne se pose de questions.

Et c’est là que tout dérape, avec l’interrogation de Herb et Jed sur les motivations de leur cousin. Herb et Jed tuent Hawk, qui avait déjà enterré sa mère Sally dans le jardin six ans auparavant, avant d’être démasqués et tués par leurs femmes. Laissant là les quatre cadavres, Charlène et Darlène s’enfuient, les quinze enfants au père indéterminé sous les bras.

Benjamin Adam déroule implacablement chaque fil de l’affaire par le biais d’un narrateur extérieur au ton très ironique. Le récit passe d’un personnage à l’autre, donnant ainsi le point de vue de chacun assorti de quelques éléments de contexte. Tout le monde est décortiqué : les principaux protagonistes comme les victimes collatérales ou la stagiaire du journal local, formant un tableau exhaustif de la situation.

Cette quadruple mort est le point de départ d’une suite d’évènements à la mécanique que l’on voit inéluctable, mettant à mal une famille et un système au final très peu apprécié de la majorité silencieuse. La voix de l’opposition se réveille par la renaissance d’un journal satirique et indépendant et l’équilibre des pouvoirs bascule. Car la liberté d’expression est au cœur de l’intrigue secondaire de Joker : Benjamin Adam y décortique la presse, muselée ou indépendante. Et le lecteur y joue le rôle à la fois du critique averti et du consommateur avide de fait divers.

Commencé en 2009 avec une prépublication dans la revue Lapin de l’Association et terminé en 2015, Joker conserve de bout en bout un style cohérent malgré la durée de la création. Entre ligne claire et Art Déco, le dessin précis de Benjamin Adam est un régal pour l’œil. Loin de l’apparente simplicité du noir et blanc sans nuances, chaque personnage a sa particularité, son individualité, et dans le contraste brut se crée la profondeur.

D’une histoire qui aurait pu être un sordide fait divers, Benjamin Adam fait un récit à la limite entre cinéma expressionniste allemand et série B, le tout saupoudré d’une ironie piquante, pour une lecture à plusieurs niveaux, mais toujours réjouissante.

Joker, de Benjamin Adam
128 pages, 19€
La Pastèque, sortie le 29 mai 2020 en librairies

visuels : ©La Pastèque

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Laetitia Larralde
Architecte d'intérieur de formation, auteure de bande dessinée (Tambour battant, le Cri du Magouillat...)et fan absolue du Japon. Certains disent qu'un jour, je resterai là-bas... J'écris sur la bande dessinée, les expositions, et tout ce qui a trait au Japon. www.instagram.com/laetitiaillustration/

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