« Folklords », les mondes fantastiques de l’écriture
Matt Kindt et Matt Smith nous offrent un conte fantastique où le héros rêve de costumes cravates, de montres et de voitures. Entre réalité et fiction, arrivera-t-il à mener sa quête ?
Dans le village d’Ansel, les trolls sont passeurs de gué, elfes et gnomes se retrouvent à la taverne et tous les jeunes doivent accomplir une quête avant de rentrer dans la vie active. Mais Ansel ne se sent pas à sa place dans ce monde de conte de fées. Il a des visions d’un autre monde où les gens s’habillent en costume cravate et possèdent toutes sortes d’objets technologiques vers lequel il se sent attiré. Sa quête sera donc celle-là : partir à la recherche des maîtres-peuples (folklords), et ce malgré l’interdiction de le faire sous peine de mise à mort par la guilde des bibliothécaires. Accompagné de son ami Archer, Ansel s’enfuit vers la forêt enchantée, où les rencontres seront plus ou moins dangereuses, afin de trouver les réponses à ses questions.
Dans la lignée de Fables de Bill Willingham, Folklords met en place dans ces cinq premiers chapitres un univers où les personnages de contes et de fantasy existent dans un univers parallèle au nôtre. Dirigé d’une main de fer par les bibliothécaires, soldats impitoyables avec « chut » comme cri de ralliement, cette société basée sur le contrôle du savoir a pourtant ses failles et ses opposants. L’une d’elles est Ansel, dont la tête est une fenêtre sur le monde des maîtres-peuples.
On devine que l’écrivain est le pivot entre les deux mondes. Il contrôle le monde du conte, a pouvoir de vie et de mort sur ses habitants tout en étant lui-même immortel. La bibliothèque est un dédale où chaque pièce est une histoire incarnée et elle possède même son annexe des livres interdits, où certains savoirs sont dissimulés au peuple. Nous ne sommes pas loin de la dictature et de son système de censure, où l’auteur est le despote : une vision ironique du rapport de l’écrivain à ses personnages.
Le malaise d’Ansel qui ne se sent pas à sa place là où il vit, hanté par les images vives d’un ailleurs qui l’attire, est une métaphore de la recherche identitaire que traverse la plupart des gens. Les quêtes que les jeunes doivent réaliser pour s’accomplir sont des simulacres de rites de passage à l’âge adulte et l’auteur s’amuse des récits initiatiques d’où le héros sort transformé. Car comme le dit Laide, « au final c’est le monde qui décidera de ton nom. Peu importe comment tu t’appelles. ». Il est difficile d’imposer qui on est à une société qui refuse de l’accepter, et encore plus quand on est le personnage d’un écrivain tyrannique…
Le style graphique de Folklords se place dans la droite ligne des comics, sombre et efficace mais sans grande nouveauté. L’histoire nous offre un point de vue original, où pour une fois notre monde est l’objet des fantasmes du héros et nous entraîne facilement à sa suite. On s’amuse des piques lancées au monde des écrivains et du livre et la fin de ce tome donne définitivement envie de continuer la lecture au prochain tome.
Folklords, tome 1, de Matt Kindt et Matt Smith, couleur Chris O’Halloran
144 pages, 16,50€ – Delcourt
Visuel : ©Delcourt