Histoire
La Suisse, un pays colonial par l’esprit ?

La Suisse, un pays colonial par l’esprit ?

28 July 2015 | PAR Elodie Schwartz

Alors que la Suisse n’a jamais possédé de territoires outre-mer, une historiographie nouvelle propose l’hypothèse qu’elle a longtemps entretenu un “esprit colonial” et véhiculé des stéréotypes sur les peuples tropicaux. Un recueil d’essais en anglais propose aujourd’hui de plonger au cœur de la Suisse qui aurait participé à l’imaginaire de la colonisation…

Tout comme les Etats impérialistes, la Suisse, qui n’a pourtant jamais possédé de colonies, aurait exhibé des Noirs dans des “villages nègres” et aurait participé à la diffusion de stéréotypes sur les peuples exotiques, que ce soit dans les médias ou les manuels scolaires. “La Suisse a participé à l’esprit colonial communément partagé en Europe”, explique l’historien Patrick Minder, auteur de l’ouvrage La Suisse coloniale (2011), au journal La Liberté.

Cette “mentalité coloniale” se serait développée au XVI siècle, temps des grandes découvertes, des réflexions philosophiques et théologiques et des classement hiérarchiques, puis au XIX siècle avec le commerce triangulaire pro-esclavagiste avant de prendre fin durant la seconde guerre mondiale face aux horreurs racistes du nazisme qui auraient imposé à la Suisse une réflexion sur sa relation aux autres ethnies.

Jusqu’à cette date, l’imagerie coloniale suisse se serait exprimé au travers de stéréotypes forts : le Noir porte de vieux habits, il parle “petit nègre”, il est paresseux et voleur mais est bon musicien et danseur… Autant de stéréotypes qui, dès l’enfance, auraient été inculqués. “Dans un ouvrage que j’ai retrouvé, il était annoté “à apprendre très bien”. Ces classifications apparaissent aussi dans les albums (…) ; les planches de races humaines placent les Blancs en tête de liste, les Pygmées et papous en fin de liste” ajoute le professeur.

De même les préjugés sur les peuples d’outre-mer auraient été entretenus par des films et des photos d’expédition Suisse. Au niveau économique, la Suisse n’aurait d’ailleurs pas caché son intérêt, notamment en période de crise, de posséder ses propres colonies. “Autour de 1920, ils se sont même posé la question de la reprise de la colonie du Congo Belge. Il y a eu un projet concret mais le conseil fédéral, interpellé, s’y est opposé, craignant pour les bonnes relations avec les pays voisins” conclut Patrick Minder.

La fin de l’innocence

“Le travail consistant à sortir la Suisse de son “amnésie coloniale” a commencé autour des années 2000. En 2005, le sujet fait irruption avec La Suisse et l’esclavage des Noirs (Antipodes, 2005), de Thomas David, Bouda Etemad et Janick Marina Schaufelbuehl qui s’intéressent aux Suisses qui, aux XVIIIe et XIXe siècle, sont impliqués dans la traite négrière, dans le maintien du système esclavagiste et dans l’économie des plantations” rapporte Le Temps.

L’année suivante, précise le journal, “la thèse de Claude Lützelschwab (La Compagnie genevoise des colonies suisses de Sétif (1853-1956). Un cas de colonisation privée en Algérie, Peter Lang, 2006) dissèque les affaires d’une exploitation agricole helvétique intégrée dans le système colonial français et passant, comme il se doit, par la dépossession terrienne de la population locale.”

De multiples travaux, dont ceux de Béatrice Veyrassat, Patricia Purtschert et Harald Fischer-Tiné,Bernhard C. Schär, Johann Jakob Scheuchzer ou Oswald Heer auraient également aidé à mettre fin à l’innocence de la Suisse et à montrer son influence sur les pratiques coloniales. Plus récent, le recueil d’essais anglais de Jean Batou, Frédérique Beauvois, Thomas David, Mathieu Humbert et Claude Lutzelschwab avec la collaboration de Anastasia Koukouna, Deux mondes Une planète, Two Worlds, One planet, aborde les aspects mal connus des mondes coloniaux et le Tiers-Monde du point de vue de la Suisse qui a participé à l’imaginaire qui fonde la colonisation. Une partie de l’Histoire que l’on vous propose de découvrir.

Visuel : © Flick Creative Commons / Alexis Orloff / Couverture officielle du magazine VU, hors série mars 1934

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