Très nombreux chacun seul, Jean Pierre Bodin et Christophe Dejours font de la servitude volontaire un spectacle [Concours]
Voici du théâtre documentaire dans ce qu’il a de meilleur. Jean-Pierre Bodin et Alexandrine Brisson ont eu l’idée de réunir leurs textes avec ceux de Christophe Dejours, Sonya Faure et Simone Weil pour livrer la photographie d’un monde en mutation, celui des travailleurs d’usine. La question est : qu’est-ce qu’une usine, en France, en 2012 ?
“Travailler, c’est échouer d’abord”, voilà l’une des nombreuses idées que le psychanalyste et psychiatre Christophe Dejours développe. Il n’est sur scène que virtuellement, dans un dialogue avec, lui étant sur le plateau, Jean-Pierre Bodin. Tout commence par des vidéos projetées en avant-scène de jardins ouvriers. Au fur et à mesure que la vidéo reculera, on verra des usines vides, des gestes disparus, des visages de travailleurs.
« Très nombreux chacun seul » s’empare d’un sujet au départ pas très spectaculaire : celui de la servitude volontaire et le rend captivant. Seul en scène physiquement, Jean Pierre Bodin livre de précieux témoignages sur l’aliénation à l’usine. Le bâtiment qui a remplacé dans les villages le clocher de l’église donnant l’heure fut le repère jusqu’aux récents plans sociaux. Le metteur en scène-comédien dresse des portraits, décrivant des tâches dures, répétitives mais où chacun trouve son compte “j’ai eu de la chance, j’ai toujours pu aller au travail à pied” dit une retraitée.
En solo, l’homme danse pour dire le tourbillon des transitions. Il n’y a plus d’usines en France mais il y a les tours de la Défense, là, le team building est en force “on se tutoie, on s’fait la bise ?”, jeux humiliants du plus beau mari, du plus bel enfant, Dejours ose le terme : “totalitarisme” puisque les salariés trahissent, mentent, se contraignent, sans même qu’une dictature ne soit mise en place.
La scénographie alterne art vidéo et théâtre en mêlant les deux quand le psy parle. La lumière extrêmement bien travaillée est accompagnée d’une musique allégorique d’usine omniprésente et juste.
Ce spectacle dresse le portrait d’un monde qui loin de s’être évanoui a muté, montrant bien que taper sur un clavier d’ordinateur est un geste tout autant répétitif que de laver à la chaîne des tasses en porcelaine. Hommage aux travailleurs, la pièce n’est pas pour autant un manifeste politique mais bien un acte sociologique et psychanalytique de haut vol.
A voir.
A noter : Rencontre le vendredi 20 juillet avec les Amis de l’Humanité à l’issue de la représentation, 20h30 dans le jardin du théâtre des Halles.
Visuel : © Didier Goudal
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domingues
1) psychanalyste
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