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“Tu mourras à vingt ans” de Amjad Abu Alala : un Soudan intime et lumineux

“Tu mourras à vingt ans” de Amjad Abu Alala : un Soudan intime et lumineux

11 February 2020 | PAR Julia Wahl

Lauréat du Grand Prix du Festival international du Film d’Amiens en 2019 et Lion du Futur Premier Film à Venise, Tu mourras à vingt ans nous emmène dans le Soudan contemporain, que l’on découvre intime et lumineux.

Une inquiétante malédiction

Les prédictions sont, par essence, destinées à se réaliser : inutile d’essayer de leur échapper. Aussi Sakina renonce-t-elle à tout espoir quand elle apprend que son nouveau-né, Muzamil, mourra le jour de ses vingt ans. Elle s’habille de noir en signe d’une mort qui n’a pas encore eu lieu et protège son fils de façon excessive. Un mode de vie qui ne peut que provoquer les moqueries des autres garçons, lesquels enduisent Muzamil de cendre avant de le recouvrir d’un drap aux étranges allures de linceul et de l’enfermer dans un coffre. Marqué par cette expérience, Muzamil se tourne vers la religion, bien décidé à atteindre sans tâche cette si fatidique vingtième année. C’est compter sans la rencontre de Sulaiman, un ancien ami de son père, qui a roulé sa bosse un peu partout, boit plus qu’il ne faudrait et partage sa vie avec une prostituée.

Filmer l’intimité et l’immensité

Derrière cette histoire aux allures de fable, le réalisateur soudanais Amjad Abu Alala nous convie à un voyage au cœur du Soudan villageois, filmé avec douceur. La douceur des images et des sentiments nous fait un temps oublier les massacres auxquels le nom même du pays est inextricablement lié dans notre mémoire : délaissant la ville et les images de violence, le film n’évoque Khartoum que comme un ailleurs inatteignable, le seul horizon des personnages étant les vastes étendues de sable et d’eau qui entourent le village.

Entre Nil et désert, la localisation du village permet à la caméra de nous offrir des plans magnifiques de profondeur, rendant compte de la pluralité des jaunes de la nature, de l’éclat du soleil à la matité du sable en passant par l’ocre des céréales. Une ouverture sur un ailleurs possible et vers lequel on n’ose se tourner, qui s’oppose à l’obscurité des intérieurs. La maison de Sakina et Muzamil est en effet d’une noirceur qui nous permet à peine de deviner sur ses murs les traits que le jeune homme y trace chaque jour que Dieu fait, comptant avec crainte le temps qui le sépare de sa mort, à la manière d’un prisonnier qui attend sa libération. Un espace qui est alors celui d’une intimité peu bavarde, filmé en subtils clairs-obscurs par la magie des lampes tempêtes et des puits de lumière, et qui s’oppose aux larges fenêtre de la mosquée et de la demeure de Sulaiman. Un jeu sur la profondeur de champ, les ouvertures et le regard qui n’est pas sans évoquer Hitchcock et sa façon de filmer l’enfermement de ses personnages. Un Hitchcock ocre et jaune sable. 

Une subtile métaphore du Soudan contemporain ?

Outre le travail de la lumière, l’image joue volontiers des oppositions, du voile noir de Sakina aux vêtements blancs des autres villageois, du jaune du désert au bleu pâle de la mer et du ciel. Une façon d’opposer l’oppression religieuse à la liberté ? Peut-être. C’est en tous cas la lecture que la dédicace de fin, “Aux victimes de la révolution soudanaise” – la révolution de 2019 qui a vu un gouvernement militaire succéder à la théocratie -, semble nous inviter à faire. Mais c’est là l’une des nombreuses qualités de ce film que de rendre la métaphore politique subtile, peu envahissante, et finalement lisible que par qui voudra bien. Libre au spectateur de voir dans “Tu mourras à vingt ans” une allégorie de la situation soudanaise contemporaine ou un simple conte atemporel. Dans les deux cas, il ne peut être que séduit par la beauté des images et le jeu des personnages.

Fiche technique

Réalisation: Amjad Abu Alala ; Scénario : Yousef Ibrahim, Amjad Abu Alala ; Image : Sébastien Goepfert ; Montage : Heba Othman ; Décors : Rasha Fares ; Son : Rawad Hobeika ; Montage son : Rana Eid ; Mixage : Florent Lavallée ; Coloriste : Brice Pancot ; Musique : Amine Bouhafa.

Distribution

Mustafa Shehata : Muzamil
Islam Mubarak : Sakina
Mahmoud Elsaraj : Sulaiman
Bunna Khalid : Naima
Talal Afifi : Alnoor
Amal Mustafa : Set Alnesea
Moatasem Rashid : Muzamil enfant
Asjad Mohamed : Naima enfant

Visuel : Pyramides Films 

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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