Cinema
Totò, le napolitain méconnu de l’hexagone

Totò, le napolitain méconnu de l’hexagone

19 December 2018 | PAR Clara Bismuth

Il y a 120 ans, naissait l’une des plus grandes figures du cinéma comique italien, Antonio Clemente, dit Totò.

A Paris impossible de ne pas connaître les noms de De Funès et Bourvil, tout comme à Marseille, où Fernandel est une référence incontestée de la culture provençale, et non une simple vieille image au profit de l’huile Puget. Des prodiges du rires que les années n’ont pas trahi, tout comme leurs prédécesseurs américains, à commencé par Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd, Max Linder, Laurel et Hardy ou encore “Fatty” Arbuckle.
Pourtant, si tous ont contribué à redonner une certaine noblesse au comique via le 7ème art, le genre puise avant tout toute son élégance des siècles plus tôt dans la botte italienne, et son théâtre populaire : la commedia dell’arte. Pantomime et numéros burlesques, chant et figures grotesques, masques identitaires et personnages récurrents tel Arlequin ou encore improvisation, du XVI ème siècle à nos jours les codes ont peu changé mais son succès demeure intacte.
En 1898, Antonio Clemente naît dans un quartier populaire de Naples et s’apprête à servir pendant près de 50 ans de carrière, les codes de cet art qui feront de lui une des figures les plus incontournables de la culture italienne. Un patrimoine curieusement peu exporté en France, à une période où l’on ne cracherait pas sur une dose de rires…

Dès ses premiers jours, Antonio Clemente fit face à ce manque de reconnaissance. Son père, le Marquis Giuseppe de Curtis lui donne comme seul héritage le titre de « fils illégitime », honteux du statut trop modeste de sa mère Anna, qu’il ne peut épouser. Dès lors, c’est une lutte contre la vie et ses injustices qui s’engage. Le jeune Antonio, que l’on surnomme Totò est un combattant obstiné, un athlète poursuivit par la reconquête de son titre. Et si ce n’est pas dans une carrière militaire qu’il fait ses preuves (car en 1915 il consacrera plus de temps à l’hôpital prétendant à de fausses maladies et malaises), c’est sur les planches qu’il se révèle.
Un visage froid tout en longueur, le menton carré, un nez cassé par ses combats de boxe, des traits saillants faisant ressortir des mimiques oculaires uniques et un front caché sous une panoplie de chapeaux, le comédien a de la gueule. A travers le théâtre, les jeux comiques et les numéros de chant, Totò joue sur ce qu’il connait de mieux. La misère et la pauvreté, qui lui collent à la peau dès son premier rôle à l’écran en 1937 « Fermo con le mani » de Gero Zambuto. Il est le vagabond. L’homme qui coupe son café au lait et le savoure comme un vin de qualité, porte des vestes mal-ajustées, s’agite sans mesure, use d’un corps désarticulé et des transformations physiques avec toujours un même objectif, celui de s’élever dans la société sans jamais y parvenir. Un personnage qu’il décline sous toutes ses formes, même si reconnu des années plus tard, il se vante désormais du titre d’Antonio Griffo Focas Flavio Angelo Ducas Comneno Porfirogenito Gagliardi De Curtis di Bisanzio, ou encore des titres d’un père adoptif tel Prince, Comte ou encore Duc de Macédoine. Antonio Clemente a retrouvé son nom, mais Totò, lui évolue toujours dans son monde, une Italie populaire d’après guerre.

Toto e mussolini :

Les femmes l’adorent, et lui en raffole. Les hommes l’admirent, et les enfants s’en émerveillent. Son cynisme, qui ne trahit pas un côté bourgeois, comble à la perfection les trous aux fesses de ses pantalons  et rapidement, l’acteur devient plus qu’une marionnette aux gags surprenants, il est la botte secrète des réalisateurs italiens. Tel un enfant qui ferait un séjour en gériatrie, il est l’évènement d’un film. On se déplace pour lui, ne pense qu’à lui jusqu’à temps de le voir, bref l’acteur est partout jusque dans les titres qui ne nécessitent que l’usage de son personnage (Totò le Moko / Totò e Carolina / Totò, lascia o raddoppia? / Totò, Peppino e i… fuorilegge/Totò, Peppino e… la malafemmina).
A la hauteur de ces titres qui n’en finissent pas, le napolitain est infatigable. En 31 ans de carrière cinématographique, il tourne sans arrêt, parfois jusqu’à neuf films par an, des navets les plus comestibles aux grands classiques (Le Pigeon / Où est la liberté ?). Une bougeotte et un phrasé qui attaque. Totò est un acteur qui craque, explose, use de la violence verbal et physique dans son jeu. En fait, il est comme pris d’une envie pressante d’uriner, sans WC à proximité, conduisant sa parole à l’urgence. Tic tac, tic tac, Antonio a déclenché une véritable bombe à retardement dont il ne voit pas le décompte. Alors pour remédier à cette fatalité, l’unique solution fut toujours de se mobiliser sur tous les fronts. Au théâtre avec Anna Magnani, au cinéma près des réalisateurs Mario Mattoli, Carlo Ludovico Bragaglia, De Sica, Rossellini, Camillo Mastrocinque, Steno, Dino Risi ou encore Pier Paolo Pasolini, ce ne sont pas les multiples cafés ou les cigarettes quotidiennes qui maintiennent ce géant, mais bien sa soif du travail et de la comédie. Lorsqu’en 57 il perd quasiment la vue, l’homme n’abandonne pas pour autant. Beethoven composait sourd, Totò jouait sans voir. Un partenaire de taille, aux côtés de Peppino De Filippo, Claudia Cardinale, Gassman, Aldo Fabrizi, Fernadel et même De Funès dans Fripouillard et Cie sorti en 1959.
Emporté en 1967 d’une crise cardiaque, Totò fait parti des trésors du cinéma italien, qu’il faut chasser sans relâche pour en profiter, mais une fois le comique provocateur découvert, impossible de s’en passer. Maintenant vous n’aurez plus d’excuses, Totò n’est ni un groupe de pop/rock inutile, ni une addition humoristique traumatisante !

Totò : un grand nombre de film sur Youtube (en italien)
Le pigeon et autres en VOD/ DVD

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Clara Bismuth
Rédactrice pour le magazine Toute La Culture depuis mars 2018, principalement dans les rubriques Musique et Cinéma.

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