Cinema

Tony Gatlif révèle quelques secrets de tournage à l’occasion du festival CinéBanlieue

18 November 2010 | PAR Sonia Ingrachen

La 5ème édition du festival qui a eu lieu du 3 au 16 novembre explorait la thématique de la nature (ville et nature, l’eau, jardins ouvriers, friches…) et s’intéressait aux films sur les Roms.

C’est dans le chaleureux cinéma le reflet Medicis que Tony Gatlif, accompagné d’Aurélie Cardin, la directrice du festival CinéBanlieue, a accueilli les spectateurs. Gadjo Dilo et Vengo ont été projetés dans le cadre du festival CinéBanlieue. Les projections étaient ponctuées par des présentations de Tony Gatlif. Anecdotes, secrets de tournage, inspiration, c’est avec enthousiasme que le cinéaste nous confie les étapes et les ingrédients de sa création. Toujours sur le qui-vive, s’inspirant de ce qu’il découvre au cours du tournage, Tony Gatlif fait partie de ses cinéastes dont les œuvres sont en perpétuel mouvement, se renouvelant au gré de ses rencontres et de ses impressions. Sur un tournage, il capte l’énergie des paysages et surtout des personnages (fictifs ou réels) qui font vivre ses films. Tony Gatlif côtoie la réalité, même si cela veut dire qu’il doit faire face à l’impulsion du moment.

VENGO
Vengo raconte l’histoire de Caco, un andalou dont la fille vient de mourir. Il est accompagné de son jeune neveu Diego, un handicapé qui aime les femmes et la musique. La famille de Caco a une dette de sang envers la famille Caravaca. Pour leur honneur, quelqu’un doit payer.
Caco est une ombre, c’est un homme qui ne sait pas vivre, il enchaine les fêtes sans même les apprécier. Il boit avec excès et a l’alcool triste, Caco vit comme un fantôme.
Diego lui est l’opposé de son oncle. Il est joyeux, un peu naïf, il aime la vie et surtout le flamenco, cette musique qui rythme son existence.
Ces deux êtres bien que très différents, sont profondément attachés l’un à l’autre, c’est un peu la vie et la mort qui se rencontrent à travers les deux hommes. La vie et la mort planent sans cesse dans l’atmosphère, elles se côtoient tout au long du film. Le flamenco chante les êtres aimés, les choses qui ne sont plus, la douleur. Les paysages révèlent une Andalousie mythique, petits villages du bout du monde (on ne capte pas), où le sang et l’honneur ne sont jamais loin. La mort est une épée de Damoclès qui menace de pourfendre les êtres. Elle hante les lieux, dans une église où l’on pleure sa fille, devant un sépulcre où l’on promet de boire à la santé de la défunte. La mort se résume à cette épitaphe « tu muerte me fuego ». Le flamenco nous renvoie sans cesse à ce feu qui se consume, il rythme le film comme un chœur antique. Tourné en Espagne près de Séville, l’univers du flamenco est omniprésent. La musique et la danse sont métisses comme le montrent les scènes au début du film où le flamenco suit les élans du chant Soufi.

Secrets de Tournage

Toni Gatlif voulait faire un film qui parle de la Méditerranée. Au début, le film devait être une histoire d’amour entre une étrangère et Caco. Mais à un mois du tournage, le réalisateur s’est rendu compte que cela ne marcherait pas, cela n’avait rien avoir avec l’histoire méditerranéenne. « Le film doit être plus fort que l’histoire d’amour » raconte Toni Gatlif. Il se serait alors enfermé pendant 15 jours avec le scénariste-romancier-réalisateur David Trueba pour réécrire le scénario. C’est alors qu’il s’est rapellé d’un garçon qui était là sur le tournage d’un de ses films. Orestes, un jeune handicapé moteur de 14 ans qui était comme « possédé par le flamenco, en transe ». Le personnage de Diego venait de naitre. Il a écrit le film d’après l’idée de deux personnages qui n’aborderaient pas la vie de la même manière: « un homme riche, beau un peu fou, qui plait à plein de gens mais qui n’aime pas la vie, il n’y a que la musique qui l’apaise. D’un autre côté, il y a son neveu qui lui adore la vie ».

GADJO DILO

Gadjo Dilo est le sobriquet que l’on donne aux étrangers en Roumanie. Cet « étranger fou » c’est Stéphane, un jeune qui part en Roumanie à la mort de son père pour retrouver une chanteuse qu’il écoutait les derniers jours de sa vie.

Le film commence alors que Stéphane ne veut plus marcher, fatigué par son voyage. Il se retrouve alors dans un village tzigane où quelques rencontres inattendues vont perturber son voyage.
Gadjo Dilo tient sa force de sa proximité avec les gens qui peuplent ce village tzigane. Tony Gatlif célèbre les paysages (en ruine) dans lesquels les hommes se sont construits un chez soi, une communauté chaleureuse qui se côtoie quotidiennement. Il pénètre les tentes et les maisons en dur pour nous faire partager un peu de leur vie. Et dans ce monde la frontière est omniprésente. C’est celle d’un village tzigane à l’écart des autres, « balkanisé » comme disent les géographes. C’est aussi la frontière entre Stéphane le « p’tit français », l’étranger qui ne devrait pas être là, qui ne parle pas la même langue.

Cette frontière multiforme est complexe. Le Gadjo effraie ces villageois qui ne le connaissent pas. On le voit dans  cette scène très drôle où ils découvrent Stéphane dans le lit d’Izidor. Des dizaines de personnes l’observent avec méfiance par la fenêtre. Ou lorsqu’il traverse une allée bordée par les villageois qui l’insultent de « voleurs de poules » ou de « violeur de femmes ». Lorsqu’il met pour la première fois les pieds dans le village, Stéphane fait la rencontre d’Izidor. La barrière du langage créée un effet comique à cette situation. Le vieux singe fait des grimaces, fait semblant de parler, dit des insultes. Mais surtout il partage avec Stéphane une bouteille de Vodka, premier signe de leur amitié. On suit tout au long du film la naissance du lien entre les deux personnages et cela malgré les barrières du langage. Si Stéphane n’avait pas été le protégé d’Isidor il n’aurait jamais été accepté dans cette communauté. Comme le spectateur, le jeune homme apprend à vivre avec eux. De leur rencontre quelques instants magiques vont naitre : des fêtes où Izidor et son groupe jouent, un enterrement où l’on verse de la vodka sur la terre, l’ émerveillement des villageois quand ils réussissent à détourner l’électricité pour le village, la fabrication d’un gramophone par Stéphane.

Ce film, c’est aussi la quête d’un jeune homme qui tente de se lier à son père à travers la mort. Deux fantômes hantent sa vie, l’ombre du père et celle de la chanteuse qu’il n’a de cesse de rechercher.Mais au lieu de trouver la chanteuse, il rencontrera la farouche Sabina.
Beau, drôle et tragique, Gadjo Dilo est un film riche en émotions.

Secrets de Tournage

Tony Gatlif a fait ce film en se posant ces questions : « Comment je pourrais être utile ? Comment on peut être utile aujourd’hui dans un monde qui est dur et fabuleux ».
Le réalisateur nous révèle les secrets de la naissance du film: Gadjo Dilo est né à partir d’un fait divers. En effet, le réalisateur a été contacté par le journal Actuel qui lui a demandé de se rendre en Roumanie suite à un pogrom qui a eu lieu dans un village roumain. L’histoire est tellement absurde qu’elle en devient comique. Dans un village non tzigane, deux jeunes tziganes ont fait une blague à un paysan qui passait avec sa vache pour l’amener au taureau ( ils lui ont proposé de remplacer le taureau). Après quelques insultes échangées, les trois hommes se sont battus. Les fils du vieil homme ont participé à la bagarre. L’ un des fils a été tué.Pour se venger, les villageois se sont tous réunis et ont rasé le village et brulé les deux tziganes dans leur maison. On retrouve cette anecdote à la fin du film. Pour Tony Gatlif, l’histoire était trop ridicule pour en faire un film. « Je ne voulais pas en faire un film comme je l’avait entendu parce que comme cela c’est passé c’est ridicule »
A partir du fait divers, le réalisateur a créé l’histoire de ce jeune homme qui part sans rien connaître du lieu où il se rend, pour découvrir la passion de son père.

Sur le tournage, Tony Gatlif a à peine dirigé Izidor Serban, il dit qu’il a surtout dû le canaliser . Le réalisateur se plait à raconter le tournage de la scène de rencontre avec Stéphane. L’acteur aurait vraiment fait boire de la vodka à Romain Duris. L’échange que l’on peut voir à l’écran s’est réellement déroulé comme dans le film: Izidor parle en même temps que lui, il fait des grimaces, mime la parole.
Rona Hartner a dû elle aussi être maitrisée. Lors du casting, elle se met à chanter une chanson paillarde,et fait preuve d’un culot qui surprend le réalisateur. Cette chanson est reprise au début du film.
Le réalisateur utilise leur folie pour créer des scènes mémorables, comme dans la première scène qu’il a tournée. Romain Duris doit traverser tout le village qu’il ne connaissait pas encore. Pour créer un effet de réalisme Tony Gatlif avait dit aux villageois d’insulter l’acteur (voleur de poules, voleur d’enfants). Romain Duris est alors véritablement le double de Stéphane puisque l’un des villageois effraie l’acteur en sortant une baïonnette pour le menacer. L’impression d’être un Gadjo est réellement ressentie par l’acteur.


Gadjo Dilo est un film français (1997) réalisé par Tony Gatlif, avec Romain Duris (Stéphane),  Rona Hartner(Sabina) Izidor Serban (Izidor).

Vengo est un film franco-espagnol de Tony Gatlif sorti en 2000, avec Antonio Canales, Orestes Villasan, Rodriguez Antonio…

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Sonia Ingrachen

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