Cinema
Resnais, Raul Ruiz, Oliveira: L’avant-garde et le bel âge

Resnais, Raul Ruiz, Oliveira: L’avant-garde et le bel âge

28 March 2014 | PAR Olivia Leboyer

Les Herbes Folles - still, personagens

Si l’on définit l’avant-garde comme un esprit de liberté, un peu fou, ses représentants n’appartiennent pas nécessairement à la jeune génération. Ni à une génération en particulier. L’avant-garde, affranchie des contraintes du temps, peut se trouver partout.

Chercher des étiquettes, des écoles, des chefs de file n’a pas tellement de sens. L’avant-garde, c’est bien souvent un avant-poste solitaire, ou en groupe bigarré, sans uniforme. Peuvent en faire partie des jeunes comme des vieux. Justement, aujourd’hui, le sang neuf et les herbes folles se trouvent plutôt du côté des vieux, vivants ou morts de fraîche date. Alain Resnais, bien sûr, dont la jeunesse éternelle nous poursuivra heureusement au-delà de la mort. Son Aimer, boire et chanter, tout comme Les Herbes folles, est un hymne à la création libre et hors des sentiers battus. En mêlant le théâtre, le cinéma, la bande dessinée, l’opérette ou le vaudeville, Resnais réalise des alchimies étranges, colorées, qui se dressent contre la réalité trop unilatérale.

Vieux en nombre d’années, Jean-Pierre Mocky reste, même physiquement, d’une jeunesse insolente et superbe. Entre Le Renard Jaune, Le Mentor et Dors mon lapin, il livre, film après film, une vision éclatante et pleine de mordant de notre société moderne. Entré dans l’underground, tout comme Jean-Luc Godard, Mocky sort ses films dans son propre cinéma, Le Desperado, en toute indépendance. Dans les médias, sa verve amuse, irrite ou surprend, car il se moque bien de faire bonne impression. La liberté de dire tout et n’importe quoi, avec esprit, est une chose précieuse.

Plus vieux, plus éblouissant, plus inaltérable, Manoel de Oliveira, qui frôle les 105 ans, garde sa fraîcheur et son énergie de jeune homme. Avec L’étrange affaire Angelica, il nous a offert un film puissant et fou sur la mort et l’obsession amoureuse. Mélange de fantastique et de quotidien, ce film possède un charme insolite, inconfortable. Oliveira filme une mort érotique, troublante, terriblement attirante.

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Et que dire de Raul Ruiz, avec Les Mystères de Lisbonne, un film si beau, si long et si triste que l’on voudrait voir durer toujours ? C’est assez rare, un film de 4h30 dont on sort totalement assommé, avec cette question : est-ce la réalité maintenant, là, dans cette salle, où n’était-ce pas plutôt sur l’écran ? Honnêtement, on préfère le film à notre vraie vie. Cet enchaînement de désillusions, de pertes, d’oublis, enchante et blesse avec force. La fuite du temps, ici, est vraiment palpable. Raul Ruiz a eu l’élégance, la bizarrerie et le chic de disparaître en nous laissant un roman posthume, L’esprit de l’escalier. Il nous sourit depuis l’au-delà, en glissant cette question pas si absurde ; combien y a-t-il de morts après la mort ?

Chez Alain Resnais, chez Raul Ruiz ou Manoel de Oliveira, la mort est filmée comme une énigme accueillante, un autre pan de la réalité, peut-être plus réel. Si ce n’est pas de l’avant-garde…

visuels: Les Herbes folles d’Alain Resnais et Mystères de Lisbonne de Raul Ruiz, photos officielles.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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