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Quand le cinéma se rit de l’Histoire: ces comédies qui s’attaquent aux mémoires taboues

Quand le cinéma se rit de l’Histoire: ces comédies qui s’attaquent aux mémoires taboues

05 July 2011 | PAR Gilles Herail

Pour la sortie de Case Départ, toutelaculture vous propose un dossier sur le traitement cinématographique des heures sombres de l’histoire. Si La Rafle et autres Amistad adoptent une approche mémorielle classique et didactique, certains films utilisent le décor des périodes honteuses pour nous offrir de beaux moments de comédies. Retour sur ces moments de plaisirs coupables…

Comment traiter du nazisme ou de la Shoah sans violons ni mélo? De l’esclavage sans dénoncer l’horreur du commerce humain? De tyrans abjects sans une tonalité sérieuse et accusatrice? L’histoire du cinéma nous montre que cette dédramatisation de l’horreur par effet cathartique a toujours existé. En remontant les époques, on pense bien sûr au Dictateur de Chaplin, amplifiant les traits caricaturaux du Führer nazi dans une comédie burlesque hilarante, nous laissant malgré tout toujours entre deux sentiments, celui du plaisir mais aussi de l’abjection. Ce même Hitler a de nouveau été caricaturé, par un film allemand cette fois ci. Avec Mein Fuhrer, l’Allemagne s’est replongée dans un débat mémoriel douloureux. Un étrange objet cinématographique voulant démystifier la figure d’Hitler en le ridiculisant autour d’un humour souvent bête et méchant, voire assez vulgaire. Encore plus récemment, c’est Quentin Tarantino qui a réécrit l’histoire du nazisme à sa manière, introduisant ses délires sanglants en pleine seconde guerre mondiale, allant jusqu’à filmer une mort jubilatoire d’Hitler (avant la date prévue…). Avec plus d’émotion, celle du conte, La vie est belle de Begnini résume assez bien le sujet de notre article. Il y est question de raconter une histoire à hauteur d’enfants pour décrire l’indescriptible, d’appréhender l’horreur des camps comme une vaste mise en scène, d’y apporter le burlesque et le quiproquo.

Jacques Villeret, nazi romantique dans Papy fait de la résistance

On retrouve en France quelques exemples de comédies, souvent de bonne facture, se replaçant dans des contextes historiques difficiles pour nous divertir sans arrière-pensées. La traversée de Paris est un des premiers grands succès de Louis de Funès, entouré de Gabin et Bourvil au cœur du marché noir et de la présence des soldats allemands.  Papy fait de la résistance, comédie à très gros budget nous emmène dans ce même Paris occupé à coup de reconstitution et de décors réussis. L’on y traite de la Résistance, de la collaboration, mais avec l’ensemble de l’équipe du Splendid et co sur un ton vaudevillesque et rythmé. La scène culte de Jacques Villeret, officier nazi sadique chantant sa repentance en interprétant « Je n’ai pas changé » de Dalida symbolise bien l’esprit d’un film clairement parodique et qui a fait discuter lors de sa sortie. Des films beaucoup moins connus ont aussi poursuivi cette voix mi parodique mi sérieuse, revisitant les livres d’histoire. Twist again à Moscou, l’avant Visiteurs du duo Poiré/Clavier s’installe dans l’URSS totalitaire, la corruption et la police politique, pour un scénario classique de comédie d’aventures. La victoire en chantant, film inconnu et pourtant oscarisé de Jean-Jacques Annaud utilise le burlesque et l’absurde pour traiter la société coloniale sous un angle nouveau. Casque Bleu de Gérard Jugnot se tire avec plus ou moins de réussite d’un scénario casse gueule. Réunir Valérie Lemercier, Victoria Abril et des seconds rôles habitués aux comédies dans une ersatz des Bronzés en pleine guerre des Balkans.

La bande-annonce de Mein Führer, comédie avec comme protagoniste un certain Adolf Hitler

La guerre semble ainsi parfois être un terreau efficace pour les auteurs comiques, jouant sur les décalages entre le drame de l’arrière plan et le ridicule des situations. Le Docteur Folamour de Kubrick, sur une tonalité certes critique, usait du sarcasme et de la légèreté pour évoquer la folie nucléaire entamée par les deux blocs occidentaux et soviétiques. Mash, comédie satirique incroyable de Robert Altman s’amusait elle en pleine guerre de Corée. Dans les années 2000, quelques films anglo-saxons ont entamé un travail de mise à distance face aux dictats sécuritaires et au va-t-en-guerrisme de George Bush. Les chèvres du Pentagone et leur esprit bon enfant exposent à une Amérique engagée sur plusieurs fronts des soldats Jedi envoyés en Irak, qui espèrent traverser des murs et tuer des chèvres à distance, et jouent avec leurs chars après qu’un officier hippie ait ajouté du LSD dans la soupe. De façon plus ambiguë, We are four lions nous fait suivre une équipe de bras cassés hors du commun, une bande de potes anglais d’origine pakistanaise qui se découvrent un intérêt nouveau pour l’islamisme radical et souhaitent organiser un attentat à Londres. Et ce, avec les plus grandes difficultés du monde devant leur incompétence. Si le drame du métro londonien n’est pas évoqué directement, le retournement par l’absurde des peurs anglaises est fascinant, laissant souvent le spectateur hésitant entre rire jaune et incrédulité.

Un extrait de We are four lions, comédie anglaise qui suit des terroristes bras cassés

Ces films qui osent traiter de l’histoire différemment ne sont pas toujours des chefs d’œuvre, n’ont pas toujours de message. Certains sont simplement de très bonnes comédies où le décalage entre le ton et le contexte permet de renforcer l’efficacité comique. D’autres sont une manière intelligente de délivrer un message sans utiliser de manière primaire un message historique didactique et lénifiant. L’ensemble nous pose toujours la question de savoir jusqu’où peut-on ou doit-on aller pour encourager la création sans blesser des mémoires nationales ou communautaires encore à vif. Liberté salutaire ou affront à la mémoire des victimes ? Le débat reste toujours animé à l’occasion de la promotion de Case Départ. Malgré un discours rôdé de Fabrice Eboué et Thomas N’Jigol visant à désamorcer tout malentendu, cette comédie avec l’esclavage pour toile de fond a provoqué une levée de boucliers chez certaines associations qui les ont accusé de trahir la cause noire. Pas aussi anodines qu’elles n’y paraissent, ces comédies nous interrogent sur notre rapport au passé et mettent à jour des tabous nationaux, forgeant les premières étapes vers une acceptation pacifiée des errements connus par chaque nation.

Gilles Hérail

La critique de case départ est ici.

Voici la bande-annonce:

 

 

 

Massimo Furlan à la recherche de la mère lors du Week-end international à la Cité
Décès de l’artiste Cy Twombly
Gilles Herail

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