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Pablo Berger, réalisateur de « Blancanieves » : « Je me considère comme un conteur d’histoires »

Pablo Berger, réalisateur de « Blancanieves » : « Je me considère comme un conteur d’histoires »

21 January 2013 | PAR Yaël Hirsch

A 9h00, du matin dans la salle la plus lumineuse du Palais des Congrès d’Angers, autour d’un café et d’un croissant, nous étions trois journalistes à rencontrer le réalisateur Peter Berger au lendemain de l’ovation faite à son deuxième film, « Blancanieves », projeté en ouverture de la 25ème édition du Festival Premiers. Dans un mélange d’anglais, d’espagnol et de français, le cinéaste espagnol a partagé son énergie, son amour pour le cinéma et ses espoirs pour ce film si plein d’émotions et proche de lui. Un moment suspendu hors du temps et que l’on qualifierait presque de « féérique ».

Pour lire notre critique du film qui sort mercredi 23 janvier, c’est ici.

Comment avez-vous reçu l’ovation qui vous a été faite hier soir après la projection du film à Angers ?
Avec le sourire jusqu’aux oreilles ; c’était un peu comme un matin de Noël quand on trouve vraiment les cadeaux au pied du sapin : à la fois magique et rassurant. J’ai eu le même genre de sentiment lorsque nous avons ouvert San Sebastian en septembre, c’était aussi un grand public, près de 2000 personnes, et on a aussi eu une ovation, une réaction pleines d’émotion. Cela a aussi à voir avec la cérémonie du cinéma, voir un film sur un grand écran, dans une salle pleine, cela crée les conditions d’une très grande émotion et si l’émotion soigne, alors il se passe quelque chose de fort. Je crois qu’une grande partie du succès d’hier tient à la taille de l’audience : 1200 personnes !

Pourquoi avez-vous mis tant de temps à sortir ce deuxième long-métrage ? Était-ce difficile d’écrire le scenario ou est-ce une question de production ?
Mon premier film, « Torremolinos 73 », a eu beaucoup de succès en Espagne, et il a été distribué dans le monde entier. J’ai cru que j’étais considéré comme un réalisateur et qu’il serait facile de faire le deuxième. Mais quand les producteurs ont ouvert le scénario de « Blancanieves » et vu qu’il s’agissait d’un film en noir et blanc, silencieux du début à la fin avec de la musique, ils ont vu que j’étais fou. Et ceux qui ont continué à lire ont pu comprendre que c’était un film excessivement cher. Jusqu’à ce que je rencontre un producteur très courageux, un petit producteur qui est maintenant devenu grand, qui m’a dit « c’est le plus beau scénario que j’ai lu dans ma vie », faisons-le. C’était un geste d’amour, vraiment. Et j’ai co-produit avec lui et ça nous a pris 8 ans. Nous avons dû être forts mais nous voulions vraiment faire ce Blanche-Neige.

Désolée pour cette question qu’on vous a posée mille fois, mais comment avez-vous réagi au succès de The Artist ? Et avez-vous vu Tabou ?
Oui j’ai vu « Tabou » aux Etats-Unis et ne saurais pas exactement vous dire ce que j’ai ressenti. Pour « The Artist », l’idée de mon film remonte à 2005, donc bien avant que j’entende parler du projet de Hazanavicius. Quand un des mes amis m’a appelé de Cannes pour me parler de la projection du film et de sa réception et de comment ça allait être énorme, la première réaction a été « Merde ! ». D’un côté j’ai eu envie de jeter le téléphone, parce que nous commencions le tournage de « Blancanieves » le jour d’après. Donc The Artist ne m’a pas aidé à récolter les fonds pour produire. Mais si ça avait été un flop, ça aurait créé un précédent fatal pour « Blancanieves ». Au lieu d’un brise-glace, cet autre film muet aurait bloqué l’avenir de mon film ; Mais si on y pense, faire des films muets, ce n’est pas si original, si on pense à Guy Maddin, par exemple. Ni pour « The Artist », ni pour « Blancanieves » n’inventent rien : nous revenons à ce qui a été fait avant nous, à cette pure émotion qu’est le cinéma muet. Mais ce qui nous réunit et nous rend orignaux, c’est que nous ne sommes pas expérimentaux, nous avons fait des films grand public à gros budget ; Pour moi cette question du grand public, cette façon de transmettre comment les films muets peuvent me donner un plaisir planant à une très large audience, c’était vraiment très important. Je voulais sortir le muet des films d’auteurs.

Comment avez-vous travaillé l’adaptation du conte des Frères Grimm ? Et pourquoi l’avoir transposé dans l’univers de la corrida ?
Ce qui est génial à propos du texte des frères Grimm c’est qu’il fait seulement 3 pages ! Il y a donc eu beaucoup de liberté. Ce n’est pas comme mettre en images un livre, j’ai pu écrire mon Blanche-Neige. Donc mon film est plus une inspiration qu’une transposition. Quant à la corrida, elle est par nature très narrative. Il y a un début, un milieu et une fin. C’est comme une sorte de film. Tout se combine dans ce monde qui parle de passion, de vie et de mort et de passion. Le moment de la confrontation du Taureau et du torero, il se passe quelque chose de formidable, c’est un rite païen, comme le conte..

Votre film est donc un hommage aux contes populaire… et aussi au cinéma ?
C’est complètement vrai. Le film est vraiment un conte de contes. C’est un film plein de références à des impressions d’enfance, la grande maison, les escaliers qu’on ne peut pas escalader, des portes qu’on ne peut pas ouvrir. J’ai une fille de 9 ans et je lui raconte des contes tous les jours depuis qu’elle a 3 ans, il y a Blanche-Neige, mais aussi le Petit chaperon rouge, Cendrillon et la Belle au bois dormant. Il y a plein de contes. Il y a bien un hommage au cinéma, mais en même temps, il faut aussi parfois tuer le père et je voulais faire quelque chose qui fonctionne pour le public d’aujourd’hui. Je ne voulais pas faire un film qu’on aurait l’impression d’avoir retrouvé à la cinémathèque 100 ans après. Mais il y a bien un lien évident entre le cinéma et le conte car je crois que l’origine du cinéma, c’est bien le conte. Je ne me considère pas comme un écrivain ou un réalisateur, mais comme un conteur d’histoires. Je me mets dans la peau du spectateur car je préfère voir un film que le faire. J’aime sortir de mon monde et me mettre en repos dans la magie. Même si maintenant je sais comment les films sont faits quand j’en vois un je redeviens un enfant et je ris et je pleure. C’est pourquoi « Blancanieves », ce sont avant tout des émotions, mes émotions, et donc, ce film c’est moi. Avant même l’hommage à Murnau ou Abel Gance, ce film c’est un homme marié et père, qui a perdu ses parents, c’est ça que je mets dans le film. Et pour moi, les émotions, c’est le plus important dans le cinéma.

Pourquoi ce besoin de revenir aux grains des films muets d’origine, pourquoi ne pas le tourner avec des technologies d’aujourd’hui ?
Oui, nous voulions ce grain d’image. Nous voulions vraiment utiliser du vrai film. Nous avons tourné en Super 16 avec deux caméras pas trop grandes pour pouvoir tourner tout le temps avec deux caméras et beaucoup. Le fait que le film ait été muet nous a permis de tourner une grande quantité d’images qu’après nous avons pu exploiter au montage pour créer le rythme. Mais en fait nous n’avons pas arrêté d’utiliser des techniques modernes, il y a 550 effets digitaux pour créer la magie du conte. En fait, on a mélangé de la vieille technique avec de la technologie moderne !

En fait ce n’est pas un film muet… la musique parle de bout en bout, non ?
Bien sûr que la musique est la voix des personnages. La musique parle. Quand j’ai parlé au compositeur du projet, Alfonso Villalonga, je lui ai dit que je voulais un film « latte », où la musique et les images se mélangent aussi bien que du café et du lait. Nous avons vraiment travaillé sur la musique quatre mois ensemble, à partir du scenario, avec de multiples allers retours. Nous voulions une musique, éclectique, vallonnée avec des sons symphoniques aussi bien qu’expressionnistes, venus du flamenco ou cirque ou du cabaret à la Kurt Weil, nous ne voulions surtout pas quelque chose d’uniforme, même s’il fallait vraiment un soupçon d’Andalousie pour cette Blanche-Neige de Séville.

Comment dirige-t-on des acteurs d’aujourd’hui dans des rôles muets qui étaient dans le temps joués de manière bien spécifique par des grands acteurs de théâtre ?
En tant que réalisateur, je crois que mon rôle principal est de faire en sorte que tout le film suive le ton juste dans lequel je l’ai imaginé. Et l’un des éléments clés du respect de ce ton, c’est la direction des acteurs. Mais vous savez, tous les acteurs de films muets n’étaient pas dans le sur-jeu sous prétexte qu’on n’entendait pas ce qu’ils disaient. Il n’y a pas que le cinéma expressionniste de Weimar. Chez Dreyer par exemple, le jeu est beaucoup plus subtil. Pour « Blancanieves », c’est vrai que j’ai demandé à mes acteurs un peu de stylisation de leurs personnages, ce qui demande énormément de savoir-faire, surtout pour les personnages négatifs comme la marâtre, le méchant nain ou le chauffeur. Pour les personnages positifs, il a suffi de leur demander de jouer pleinement le jeu de l’émotion. Et ça marche, vraiment, pas la peine d’en faire des tonnes. Les scènes entre le père et la fille, par exemple ne sont qu’émotion. Et je ne savais pas si ces deux manières différentes de faire jouer mes acteurs allaient fonctionner. Mais je pense qu’avec le recul ça a bien marché.

photos : (c) Stephan Bleiberg.

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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