Cinema
La langue faite chair, Nurith Aviv suit les traces de l’hébreu

La langue faite chair, Nurith Aviv suit les traces de l’hébreu

01 May 2011 | PAR Bérénice Clerc

Nurith Aviv égraine depuis plusieurs années les perles de la langue hébraïque. Un coffret aux éditions Montparnasse rassemble D’une langue à l’autre, Langue sacrée, langue parlée et Traduire, trois de ses documentaires à la rencontre des traducteurs et amoureux du langage.

Nous voici projetés dans une tour de Babel à échelle mondiale où la connaissance est reine et se partage avec plaisir.

Trois essais, trois volets ouverts sur la langue au frontière du film et du documentaire, une tentative intellectuelle, des rencontres avec des hommes, des femmes d’Israël, d’Europe, du Monde, filmés et présentés avec simplicité et rigueur pour mettre en avant leur parole et la force de la langue. La langue est notre ciment, elle nous offre le monde, nous permet de le partager, elle se dédouble entre un monde intérieur et extérieur.

En 2004 avec D’une langue à l’autre, Nurith Aviv commence son chemin sur les traces de l’Hébreu  et donne la parole aux érudits, écrivains ou artistes en situation de bilinguisme ou de double appartenance culturelle.

La langue appartient à qui la parle et l’écrit mais comment évolue-t-elle entre sens et défi à la pureté et l’exactitude ? Quelle est notre langue ? Celle de nos parents ? De nos ancêtres ? Du pays dans lequel nous grandissons ou vivons ?

En quelques minutes la pensée devient acte, le verbe se fait chair, écrivains, poètes, acteurs, philosophes, musiciens, artistes nous livrent leurs vies. Ils nous parlent dans un face à face dénué de prétention, grâce à la disparition de  Nurith Aviv derrière la caméra.

Comment s’attaquer à la langue même ? Patrie sans contour, objet de trahison des pères, traces orales d’un passé qui ne passe pas en Allemagne par exemple ? Sujet passionnant du film Vater Land/Perte joint à ce coffret.

Langue sacrée, Langue parlée, touche comme le premier volet en plein cœur de la langue. Perte, coupure, arrachement, cicatrice toujours ouverte sur une langue dépossédée d’une histoire, d’un territoire ou d’un corps. La langue est-elle laïque, politique, religieuse, poétique ou personnelle ? La terre d’Israël, chargée d’histoire était-elle le bon adjuvant entre paix spirituelle et volonté de vivre un renouveau salvateur ? Abandonner sa langue, son histoire, se taire, se perdre pour tenter d’être un autre et libérer ses enfants d’un poids lourd ne peut-il pas produire le résultat inverse ? Le non dit, le sens caché ou inconnu nous habite malgré nous avec violence et profondeur.

Pour le dernier film de la trilogie : Traduire, Nurith Aviv nous entraine au royaume des traducteurs.

Ces hommes, ces femmes font voyager la langue, leur passion font découvrir des textes laissés pour mort. Qui sont ces passeurs de langues, ces fossoyeurs de culture cachés à l’ombre des mots et des lettres ? Nurith Aviv les met en lumière. Chacun parle dans sa langue et raconte son expérience avec la littérature hébraïque, écrite à travers les siècles. Le Midrash, poésie hébraïque médiévale, la littérature moderne et contemporaine. Les traducteurs parlent avec passion de la confrontation avec une langue qui les pousse parfois à transgresser les règles de leur propre langue. Différentes strates coexistent dans la langue hébraïque, le moderne peut donner lieu à des effets d’humour ou d’ironie mais rend âpre la tâche du traducteur. Il faut ici encore renoncer souvent aux lois de leurs propres langues et hébraïser la langue finale sans cruauté ou dépassement des limites. La traduction littérale est impossible, chaque traducteur doit lutter avec sa vie, sa langue, sa culture pour ne rien perdre. Le mot est-il la chose ? Une émotion, une sensation, un vécu sont-ils contenus dans la sonorité d’un mot ?

Nurith Aviv laisse l’émotion submerger le spectateur, il plonge au cœur de l’or du monde, la langue, les mots. L’humanité grave et chaleureuse est conviée à la table du verbe avec élégance, économie de moyens pour ce voyage d’un personnage à un autre sans couture dans une complexité limpide et bouleversante. Quel documentariste est aujourd’hui capable d’une telle écoute et d’une liberté si grande ? Loin du voyeurisme, Nurith Aviv explore la terre vierge de la langue sans fausse pudeur ou intellectualisation inaccessible. Un vrai voyage en terre intime, une brèche ouverte pour une nouvelle forme de documentaire.

La langue contient le monde, la langue est à nous, le monde appartient à ceux qui le parle.

 

Emmanuel Demarcy Mota succède à Alain Crombecque
Concert exceptionnel : Marianne Dissard et SuperBravo (Holden) au Babel Café le 24 mai (entrée libre)
Bérénice Clerc
Comédienne, cantatrice et auteure des « Recettes Beauté » (YB ÉDITIONS), spécialisée en art contemporain, chanson française et musique classique.

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