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Noémie Lvovsky, sur la pièce de Eduardo de Filippo « La Grande Magie » : « J’ai eu l’impression que Eduardo de Filippo avait écrit cette pièce pour moi »

Noémie Lvovsky, sur la pièce de Eduardo de Filippo « La Grande Magie » : « J’ai eu l’impression que Eduardo de Filippo avait écrit cette pièce pour moi »

09 November 2022 | PAR Julia Wahl

Noémie Lvovsky est venue présenter son film La Grande Magie, adapté d’une pièce de Eduardo de Filippo (voir notre article ici), au Arras film festival. Nous avons évoqué avec elle son lien avec la pièce source et son travail avec Feu ! Chatterton, qui signe la musique du film. 

Comment avez-vous découvert la pièce La Grande Magie ?

J’ai découvert la pièce sans connaitre Eduardo de Filippo, son auteur, il y a quatorze ou quinze ans dans une mise en scène de Dan Jemmet [les représentions ont eu lieu à la Comédie française en 2009] et j’ai eu un coup de foudre inouï pour ce texte qui n’était pas seulement de l’ordre de l’admiration pour un grand texte, mais qui était de l’ordre de l’intime. C’est-à-dire que j’ai eu l’impression que Eduardo de Filippo avait écrit cette pièce pour moi.

Qu’est-ce qui vous a donné cette impression ?

C’est-à-dire que le texte répondait à des doutes, des angoisses, des espoirs, des croyances très intimes. Après, le film est une adaptation libre du texte. D’abord, dans le texte il n’y a pas de chansons [le film de Noémie Lvovsky est un film musical] et les personnages féminins sont assez différents. J’ai essayé de leur donner plus de chair, plus d’importance. Il y a beaucoup de différences, mais je crois que l’esprit de Eduardo de Filippo reste. Eduardo n’avait pas voulu situer l’histoire. Il l’a écrite en 1948, je suppose qu’il la situait en 1948, mais moi, j’ai eu envie qu’elle se passe entre les deux catastrophes, celle de la Première Guerre Mondiale et celle de la Deuxième Guerre Mondiale.

Qu’est-ce qui vous a donné cette envie ? C’est le travail sur les costumes et les décors ? Quand on regarde le film, on a le sentiment que les costumes et les décors sont un plaisir lié à ce travail d’ancrage historique.

C’est vrai qu’on a eu beaucoup de plaisir à travailler sur les décors et les costumes, mais ce plaisir n’est pas venu de ce que avant le film j’avais une attirance particulière pour les années 1920. J’avais besoin d’un passé assez lointain pour aller plus directement dans le conte, dans la fable. Et puis, il y avait cet entre-deux catastrophes qui me paraissait important. Et, le plaisir que vous avez ressenti, c’est celui de travailler avec Yvett Rotscheid, qui est la costumière et la décoratrice du film. On a cherché à ne surtout pas aller vers une reconstitution hyper minutieuse de ces années-là, mais à les interpréter à notre goût, mais aussi à celui des personnages et des acteurs et actrices.

A propos du conte, justement, il y a le personnage de Rebecca Marder qui apporte cette fraicheur et cette naïveté. J’aurais aimé savoir comment vous avez travaillé ce personnage.

On l’a travaillé d’abord à l’écriture. J’ai eu envie d’un fantôme, qui n’existe pas du tout dans la pièce de Eduardo de Filippo. Et j’ai un ami cinéaste, Arnaud Desplechin, qui m’a éclairée sur ce que je travaille depuis cinq ou six ans. Il m’a dit : tu fais l’éloge des chagrins d’amour. Et je ne m’étais jamais formulé ça comme ça. Parce que, « éloge des chagrins d’amour », non : on préfère l’éviter, le chagrin d’amour. Elle [le personnage de Rebecca Marder] sait qu’elle risque de mourir jeune, qu’elle a une malformation cardiaque, mais elle voudrait connaitre l’amour. Le but de sa vie, c’est de connaitre l’amour. Et cet amour va survivre à la mort, puisque, même morte, elle est incarnée.

Il y a aussi le personnage de Judith Chemla, qui est un peu changé par rapport à la pièce. Vous pouvez essayer de développer en quoi il est modifié ?

Dans la pièce, au début, il y a un homme qui donne de l’argent au magicien pour que, pendant le spectacle, il la fasse disparaitre pendant un quart d’heure et qu’il ait un quart d’heure avec cette femme. Déjà, c’est pas elle qui décide. Et, au lieu de disparaitre un quart d’heure, elle est enlevée par cet homme. Dans le film, elle part seule : elle veut se libérer de ce mari insupportable. C’était important pour moi qu’elle parte seule.

Justement, dans ces deux personnages de femmes, on a deux femmes dominées, l’une par son mari, dont on apprend tout de suite qu’il la cloitre, et l’autre dont le père ne cesse de faire des préventions contre l’amour. Ce qui peut être perturbant du point de vue du spectateur, c’est qu’on a le sentiment d’une émancipation par rapport aux injonctions masculines, et, finalement, c’est quand même le personnage du mari jaloux qu’on suit.

J’espère qu’on imagine, en creux, ce qu’on ne voit pas, concernant Martha, jouée par Judith Chemla. Et la grande déclaration d’amour, qui n’est pas dans la pièce, elle est faite par Judith Chemla. A un moment, je me suis dit : peut-être qu’Albert pourrait être joué par une actrice. Et j’ai eu une longue discussion avec Florence Seyvos, qui est la co-scénariste du film, qui m’a dit : non, parce que c’est l’histoire de deux dépressions masculines. Et ça ma paru évident. C’est donc aussi pour ça qu’on suit Albert [joué par Sergi Lopez] et Charles [joué par Bruno Podalydès]. Et le chemin qu’il faut à Charles pour se rendre compte qu’il était un mauvais mari.

Pourquoi avoir décidé de faire un film musical ?

A chaque fois que j’ai réalisé des films, les moments de tournage qui me rendaient le plus heureuse étaient les moments où les actrices et les acteurs chantaient et dansaient. Quand on n’est pas chanteur, quand on chante, on est vraiment tout nu. Et j’adore regarder des gens danser, parce que l’on ne peut absolument pas tricher : il n’y a pas de posture. C’est une des vérités de nous-mêmes, et le chant, et la danse.

Alors, comment avez-vous travaillé avec Feu ! Chatterton ?

C’était super de travailler avec eux ! On a travaillé très très très longtemps pendant le tournage. Ils sont arrivés assez tôt, peut-être à la quatrième version du scénario (il y en a eu douze ou quinze). Et le scénario a évolué avec eux. On se retrouvait chez moi, dans la cuisine, on faisait des lectures du scénario qu’ils jouaient. Ils s’imprégnaient des personnages, de l’histoire, de l’esprit du film et repartaient, composaient, me proposaient quelque chose. Je leur demandais que ce soit plus lent, plus rapide. Arthur transformait les paroles que Florence et moi leur avions proposé et ils revenaient avec ces paroles transformées et ils retravaillaient… Ça a été un travail en commun, dès l’écriture, et ça c’était formidable.  

 

La Grande Magie sera en salles le 8 février prochain.

 

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Julia Wahl
Passionnée de cinéma et de théâtre depuis toujours, Julia Wahl est critique pour les magazines Format court et Toute la culture. Elle parcourt volontiers la France à la recherche de pépites insoupçonnées et, quand il lui reste un peu de temps, lit et écrit des romans aux personnages improbables. Photo : Marie-Pauline Mollaret

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