[Live-Report] Cinemed 2015, jour 2 : Rencontre avec Valeria Golino, Séance Arménie et l’émoi de “Peur de rien” de Danielle Arbid
Le deuxième jour de Cinemed 2015 s’est déroulé sous un soleil radieux où l’on se croyait encore en été indien. Et pourtant, les salles et les masterclasses n’ont pas désemplies. Live-report d’une grande journée de cinéma.
Nous avons commencé la journée par la Table ronde organisée autour de l’invitée d’honneur Valeria Golino, actrice dans Per amor vostro de G. Gaudino, projeté en ouverture de Cinemed samedi 24 octobre (voir notre live-report). Souffrante et ses beaux yeux turquoises cachés derrière ses lunettes noires, la star italienne s’est animée dès les premières questions. C’est toute sa carrière qui a pu être retracée, de Rain Man (1988) à nos jours en passant par Respiro (2002) et le film qu’elle a réalisé Miele (2013). Pleine de peps et d’humour, l’actrice n’a reculé devant aucune question personnelle (par exemple sa relation de 4 ans avec Guillermo del Toro, il y a des années…). Elle a avoué avec un peu de vanité d’avoir eu deux fois la coupe Volpi (l’équivalent de la palme pour la Mostra de Venise), ce qui lui permet de rejoindre un club très select d’actrices deux fois primées : Isabelle Huppert et Shirley Mac Laine. A la fin de la séance, nous l’avons suivie jusqu’en coulisses, la voyant tout mener de front, adorable avec tous ses fans qui la suivent et l’attendent pour lui demander des autographes. Une fois attablées devant un café au soleil, nous avions dix minutes pour discuter. Et en dix minutes, malgré le speed, un très beau courant est passé: Valeria Golino a eu le temps de nous poser des questions et de nous transmettre beaucoup de sensibilité. Nous avons parlé Méditerrannée (forcément!), violence et création, et vous pourrez lire le fruit de cette interview dans les prochaines heures dans Toute La Culture.
Ayant une grosse heure devant nous avant la séance de 14h, il a fallu nous débarrasser du manteau inutile, avant de commencer à baguenauder dans le vieux Montpellier. En l’absence d’expositions ouvertes dans des musées en transition (le Musée Fabre, la Panacée…), et un peu trop tard pour voir le marché, nous avons tout simplement fait une pause déjeuner au soleil, sur la calme et magnifique place Sainte Anne à l’accueillant café du même nom.
A 14h, c’est le Panorama qui nous attendait pour un très beau long métrage du réalisateur italien, passé par la NYU, Lamberto Sanfelice. Tournant autour du personnage de Jenny, 17 ans, (Sara Serraiocco, une vraie révélation), le film s’appelle Chlore et a déjà été sélectionné à Sundance. Avec un scénario tout en nuances, l’histoire est celle, classique, de deux enfants orphelins de mère et dont le père ne gère plus rien. Ayant perdu son emploi, ce dernier leur fait quitter leur Ostie natale pour vivre dans un chalet prêté par un oncle, en montagne. Pour l’aînée, Jenny, c’est la triple peine : elle s’occupe de son petit frère, prend un emploi de femme de chambre dans un hôtel vide hors saison et est surtout privée de sa vocation et son rêve : la natation synchronisée. Heureusement, l’hôtel de la montagne magique a, parmi ses atouts suranés, une piscine olympique. Sorte de mixte entre L’enfant d’en haut de Ursula Meier pour le social et la Naissance des pieuvres de Céline Sciamma pour la photo, Chlore est un magnifique portrait de jeune-fille forte et révoltée.
A 16h, Gilles Cayatte et Thomas Azuélos étaient les invités d’une séance dédiée aux Arméniens, cent ans après le génocide. Gilles Cayatte a présente son beau documentaire de 52 minutes déjà passé sur France Télévisions et Public Sénat, Le Printemps des Arméniens, qui suit Christian Vatoujan retourner vers le pays de ses parents et ancêtres en Anatolie… pour découvrir que certains survivants sont restés, souvent au prix de la conversion à l’Islam, toujours avec une certaine peur. Un film où les diversités de langues et des religions heurte, comme une sorte d’échec à avoir su préserver une identité décimée, en exil – ailleurs mais aussi à l’intérieur de la Turquie. Thomas Azuélos a quant a lui présenté et signé son album inspiré par cette histoire, Le Fantôme Arménien (Futuropolis), avec une bande-annonce au son signé par le pianiste Tigran Hamasyan.
https://www.youtube.com/watch?v=8vDPzZ1Ca2o
A 17h, nous avons pu voler quelques bribes de la Masterclass absolument pleine de Carlos Saura où le maestro a expliqué qu’il aurait préféré que le titre de son film, Argentina (projeté la veille) reste Zonda en France, comme en Espagne, mais on lui aurait dit qu’aux oreilles des Français, cela sonne trop Japonais (?).
A 17h45, nous avons découvert un autre lieu du Festival Cinemed, le cinéma indépendant Diagonale, où la réalisatrice Danielle Arbid est arrivée tout juste à temps d’Espagne pour nous présenter son troisième long-métrage, Peur de rien. La réalisatrice a présenté très efficacement ce film comme son “premier film français” et a clairement exprimé qu’il avait des inspiration autobiographiques. Alors que nous avions déjà beaucoup aimé Hotel Beyrouth (voir notre critique), Peur de rien nous a vraiment impressionné par sa maîtrise, son émotion et son intelligence.
Le film commence avec l’arrivée de Lina (révélation de la jeune première Manal Issa) en France. On est au début des années 1990 et elle a quitté Beyrouth en guerre pour venir étudier à Paris. Elle doit vivre chez sa tante et son oncle dans une élégante maison en banlieue mais l’oncle tente d’abuser d’elle. Elle s’enfuit et se crée une vie bien à elle, malgré les codes nouveaux, les fonctionnaires ultra-scrupuleux, le manque d’argent et les skins qui traînent dans les rues. Un film précis, sensuel, juste, où l’on découvre avec l’héroïne à la fois que la liberté n’a pas de prix et que, justement, elle a un prix. Et où la question de l’immigration est traitée sans manichéisme sous l’angle du refuge. La France est là, aimée et souvent tolérante, par petites touches de musique d’époque, de verres de rouge et d’endive-jambon dans des piaules étudiantes. Et aussi à petits notes d’engagement politique des jeunes, ou de professeure encore chignonée à quatre épingles mais passionnante sur l’art contestataire (Dominique Blanc, éblouissante). Sensuel, riche, constructif, bien mené, avec des acteurs géniaux (Paul Hamy en amant à la française, Vincent lacoste en “fils de” engagé…), Peur de rien est un petit bijou qui fait du bien au discours épuisant et épuisé sur l’identité nationale. Sortie le 10 février 2016, distribué par Ad Vitam.
A 22 h, la soirée s’est terminée par un ultime film avant de quitter Montpellier et Cinemed, Red Leaves de l’Israélien Bazzi Gete, qui met en scène un patriarche juif éthiopien. Après le décès de sa femme, cet homme charismatique et septuagénaire vend son appartement pour aller vivre tour à tour chez ses enfants. Mais si ces derniers le respectent énormément et lui parlent érythréen, les compagnes, compagnons et petits-enfants sont des israéliens qui parlent hébreu et se pensent comme individus. Les lois patriarcales valables en Éthiopie et portées par l’intransigeance absolue du vieil homme entrent en confrontation absolue avec la vie familiale et sociale dans le monde dans lequel évoluent ses enfants et petits-enfants. Un portrait intéressant entièrement porté par le majestueux Debede Eshetu.
Il est temps de quitter Montpellier, bien trop tôt à notre goût, mais nous allons continuer à suivre à distance la compétition de près…
visuels : YH et portrait officiel de Danielle Arbid par Biscioni