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La Nouvelle vague en bref

La Nouvelle vague en bref

07 December 2022 | PAR Nicole Gabriel

Doriane films vient de publier un double DVD avec 19 courts métrages produits par Pierre Braunberger entre 1946 et 1968 sous le titre Un avant-goût de la Nouvelle vague. Cette expression est un concept journalistique proposé par Françoise Giroud en 1958 qui a correspondu peu après à ce qu’Éric Rohmer a appelé « une relève de génération » et Claude Chabrol « une réclame comparable à celle d’une marque de savonnette ». Traduite en anglais par New Wave, la Nouvelle vague a désigné plus près de nous une formule de musique pop.

Un concept flou

L’avant-goût est à la fois mise en bouche et promesse de plats plus consistants à venir. C’est-à-dire de longs métrages comme Les Quatre cents coups, le Beau Serge, À bout de souffle, etc. Mais le court métrage est aussi un format stylistiquement comparable à la nouvelle ou au poème, aussi incisif qu’un proverbe ou un aphorisme. Au sens strict, les “Jeunes Turcs” Éric Rohmer, Jacques Rivette, Claude Chabrol, François Truffaut, Jean-Luc Godard, Jacques Doniol-Valcroze… étaient issus des Cahiers du Cinéma et faisaient partie des spectateurs assidus de la Cinémathèque d’Henri Langlois. La notion de Nouvelle vague étant imprécise, on a eu tendance à affilier ou apparenter à ce noyau des cinéastes tels que Pierre Kast, Jean Douchet, Luc Moullet, Jean-Daniel Pollet, Jacques Rozier, Jacques Demy, Agnès Varda, etc.

Ainsi, ce coffret contient deux courts réalisés par Maurice Pialat en 1960 (L’Amour existe et Janine), alors qu’il est de notoriété publique que celui-ci détestait  la Nouvelle Vague. Y sont aussi inclus des opus de précurseurs illustres comme Jean-Pierre Melville, Jean Rouch et Alain Resnais. Le riche corpus proposé par l’éditeur va donc de 1946 (avec Vingt-quatre heures de la vie d’un clown de Melville) à 1968, avec un court de Gisèle Braunberger, la veuve du producteur, rendant hommage à Jean Renoir, l’une des références avec Roberto Rossellini des Cahiers du cinéma. On voit que ce laps de temps déborde la durée de vie de ce mouvement dont Rohmer situe le « reflux » en 1962. 

De Marivaux à Mack Sennett

Les cinéastes de la Nouvelle Vague ont dès le début travaillé ensemble, hors studio, dans les rues de la capitale, une caméra légère à l’épaule. Pour les scènes d’intérieur, ils privilégiaient l’appartement de Claude Chabrol comme dans Le Coup du berger (1956), film de Jacques Rivette (assisté de Jean-Marie Straub) sur un scénario de Chabrol. Jacques Doniol Valcroze y campe le mari trompé. On y mélange la double inconstance et une énigme policière sur le thème « Où est passée la peau de lapin ». La morale de l’histoire, inspirée de l’échec et mat en quatre coups peut se ramener au dicton : « Tel est pris qui croyait prendre ». Une histoire d’eau (1958) est le fruit d’une collaboration Truffaut-Godard. Le premier eut l’idée de filmer les inondations à Villeneuve Saint-Georges. Ces plans magnifiques enthousiasmèrent Godard qui les monta sous forme de fiction. Une étudiante BCBG veut à tout prix rejoindre la Sorbonne; elle emprunte une barque, traverse des ponts de fortune et fait de l’autostop. Elle tombe sur un jeune homme tout ravi de lui faire la cour (Jean-Claude Brialy, dont la voix est post-synchronisé par celle de Godard), mais qui ne s’exprime que par des borborygmes. La bande-son est faite du monologue intérieur de la protagoniste, avec un flot de citations littéraires (de Poe, Céline, Chandler, Baudelaire, Homère, Wagner, Raspoutine), de jeux de mots et de coq à l’âne. Le montage est très vif; la logique narrative est interrompue par des plans en contre-plongée. La B.O. est à base de tambours africains. Ce film est dédié à Mack Sennett.

Dans Tous les garçons s’appellent Patrick (1959), de Godard d’après un scénario de Rohmer, Brialy, beau parleur, aborde de jolies jeunes femme au jardin du Luxembourg qu’il invite à la terrasse d’un café. Tout le monde se court après, littéralement. On est encore dans du Sennett. Brialy prendra la poudre d’escampette. Charlotte et son Jules (1960) de Godard rend hommage au Bel Indifférent, une pièce de Cocteau destinée à Édith Piaf. Sauf qu’ici, les rôles sont inversés : l’homme parle, la femme se tait. Belmondo est vautré sur son lit; arrive, pimpante, son ex. Il croit qu’elle lui revient, lui tient un long discours passant des reproches aux supplications et aux menaces. Bébel est doublé par Godard, irrésistible avec sa pointe d’accent suisse et son cheveu sur la langue. Elle lui adresse mimiques et grimaces, tout en coulant un coup d’œil par la fenêtre vers Gérard Blain qui l’attend dans sa décapotable. Les Surmenés (1958) de Doniol-Valcroze, sur un scénario co-écrit avec Truffaut, a tout d’une commande de la Sécurité sociale, d’un film pédagogique sur les dangers du surmenage détourné en portrait d’une jolie dactylo montant à Paris de son Limousin natal. Dans le train, cela va sans dire, Brialy lui fait la cour. Le fiancé de la belle est joué par Jean-Pierre Cassel. Elle hésite entre ce dernier et Brialy qui la sort en boîte. Le film s’achève sur un rock endiablé dansé par Jean-Pierre Cassel, devenu, après ellipse, son mari.

Un film de femme

L’Avatar botanique de Mademoiselle Flora (1965) prend une place singulière au sein de cette sélection. Tout d’abord en raison de sa date de sortie,  postérieure à celle des autres films. Ensuite, parce qu’il est signé par une femme, Jeanne Barbillon,  une réalisatrice que la critique a passée sous silence alors que l’on ne se souvient généralement que d’Agnès Varda. Pourtant, ce film a tous les atouts pour plaire au public le plus blasé : la présence espiègle et délurée de Bernadette Lafont, la collaboration du directeur de la photographie Raoul Coutard et de la monteuse Marguerite Renoir. Flora, l’héroïne incarnée par Bernadette Lafont, est reléguée dans la petite ville de Moret-sur-Loing, tandis que son compagnon effectue son service militaire. Celui-ci rentre au foyer, midi et soir, sans lui adresser la parole.

Démarre alors en voix-off un monologue du personnage féminin, remarquablement écrit par Jeanne Barbillon, qui illustre ses pensées, ses impressions et ses rêves. Vie de province, ennui, solitude rappellent le film de Germaine Dulac, La Souriante Madame Beudet (1923). Comme pour échapper à la réalité, la jeune femme se met à parler aux plantes. La beauté des prises de vues, la palette de gris captée par la pellicule, les lumières naturelles, impressionnistes, rappelant celles des compositions de Sisley, les déambulations de l’héroïne dans les vieilles rues de la cité,  contribuent à faire de L’Avatar botanique de Mademoiselle Flora un chef d’œuvre méconnu. Et, par là même, une des plus belles surprises du coffret.

Visuel : Jean-Paul Belmondo dans Charlotte et son Jules (1958) de Jean-Luc Godard. 

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Nicole Gabriel

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