Cinema

L’Arbre, petits arrangements avec les morts

13 August 2010 | PAR Olivia Leboyer

Dans son beau premier film, Depuis qu’Otar est parti… (2003), Julie Bertuccelli parlait déjà du deuil et des expédients que l’on peut imaginer pour fuir la réalité de l’absence (écrire de fausses lettres pour épargner à une grand-mère la nouvelle de la mort de son petit-fils, qu’elle croit parti à l’étranger). L’Arbre est également un film sur le déni : une famille heureuse, sans histoires, vit paisiblement dans le bush australien ; soudain, le père meurt d’une crise cardiaque.

Les premières minutes nous montrent le temps du bonheur et, curieusement, tout le film se déroule selon le même rythme, calme et ensoleillé. C’est la petite fille, Simone, 8 ans, qui trouve l’idée : on n’a qu’à faire comme si Papa s’était réincarné en arbre, et tout pourra continuer comme avant. Lucide, Simone sait bien que le majestueux figuier devant chez eux n’est pas son père, mais elle choisit néanmoins de le croire. Un conte de fées est plus beau que la réalité. Entraînés par la vitalité et la puissance d’imagination de la petite fille, sa mère et ses trois frères se laissent bercer par ce rêve animiste et consolateur. Dépassée, abattue, Dawn, la mère (Charlotte Gainsbourg, très touchante) peine à faire face. Dès lors, la proposition de la petite Simone (Morgana Davies, très convaincante) tombe à pic pour tenter de se raccrocher, tout de même, à quelques branches du bonheur perdu. La fillette impose sa réalité, comme le seul moyen possible pour vivre ensemble sans sombrer.

Le film réussit à trouver un rythme singulier, quasiment quotidien, sans heurt. Si l’arbre est une métaphore de la figure paternelle protectrice, il est filmé de façon presque documentaire. Il y a une précision d’entomologiste dans la manière de filmer de Julie Bertuccelli (le figuier a été choisi au terme d’un très long casting !), qui se refuse au spectaculaire. Les craquements des branches, le vent, sont évoqués sans que le film verse jamais dans une dimension fantastique. La mère et les enfants croient parce qu’ils ont décidé ensemble de croire, sans jamais subir d’hallucinations ou autres troubles de la perception. Les manifestations de l’arbre sont réelles, qu’ils peuvent ensuite interpréter comme bon leur semble. Faut-il s’obstiner dans cette jolie histoire de réincarnation ou accepter d’aller de l’avant ? Le frère aîné, un adolescent sur le point d’entrer à l’Université de Sydney, n’hésite pas à bousculer un peu la petite Simone en lui rappelant qu’elle n’est pas la seule enfant de son père, et qu’elle ne peut pas les enfermer tous dans son rêve.

Les choses se précipitent avec l’apparition d’un nouvel homme dans la vie de Dawn, qui lui offre à la fois du travail et du réconfort : « Je n’ai jamais travaillé, dit placidement la jeune femme, j’avais mon mari. », avant de lâcher avec désinvolture quelques plans plus loin « Travailler, en fait, ça ne me plaît pas. » Dawn n’avait jamais rêvé d’indépendance, pleinement heureuse dans son foyer, à s’occuper des enfants. Les soucis matériels étaient le lot de son mari, un truc d’homme. Mais un nouvel amant, un inconnu, peut-il si facilement reprendre la place du mort ? Les personnages vont devoir choisir, faire la part de leurs désirs et des commodités et autres arrangements. Le dilemme peut être résumé à gros traits : l’arbre devient encombrant, et un homme, en fait, ce serait bien pratique. Précisément, Dawn va apprendre à suivre ses intuitions, et comprendre que le bonheur de ses enfants passe avant tout. Cet arbre, ou cet homme, ne sont pas si importants que cela semble dire Julie Bertuccelli vers la fin. On trouvera bien autre chose, une autre solution pour conjurer l’absence, le vide.

Il s’agit de faire avec, d’inventer des biais. On pense à Petits arrangements avec les morts de Pascale Ferran, ou même à La Chambre du fils de Nanni Moretti. Mais L’Arbre ne provoque pas chez le spectateur la même vague d’émotion. Plastiquement irréprochable (la B.O. est parfaite), très bien interprété, finement écrit, le film tient cependant les sentiments un peu à distance. Un bon film, très agréable à voir, mais pas un grand film. Comme si tout demeurait sous contrôle, sans que le trouble n’affleure jamais.

L’Arbre, de Julie Bertuccelli, avec Charlotte Gainsbourg, Morgana Davies, Marton Csokas ; Fr., It., Austr, sortie le 11 août 2010.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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