Cinema
Kinuyo Tanaka cinéaste 2/2 : Maternité éternelle

Kinuyo Tanaka cinéaste 2/2 : Maternité éternelle

20 January 2023 | PAR Nicole Gabriel

Si Lettre d’amour était issu d’une collaboration de Kinuyo Tanaka avec le scénariste Keisuke Kinoshita,  son troisième long métrage, Maternité éternelle (1955), peut être qualifié de « film de femme ». Le script est d’une autrice, Sumie Tanaka,  qui plus est basé sur la vie de Fumio Nakajo, jeune poétesse spécialisée dans les tankas (une variété de haïkus), qui venait de mourir d’un cancer du sein. 

Le tabou de la maladie

Le film s’ouvre sur des scènes champêtres à Hokkaïdo, une île proche de Sapporo. Fumiko, jouée par Yumeji Tsukioka, mère de deux enfants, est-elle vrament heureuse ? Son époux la rudoie, se fait servir, abuse de médicaments pour oublier sa situation de chômeur. Elle accepte tout, sauf de renoncer aux ateliers de poésie de Kinuko et Takashi Hori. Chaque texte est lu à voix haute par chaque participant puis discuté. Ceux de Fumiko sont critiqués pour leur réalisme contraire aux conventions. Son mari l’ayant trompée, elle divorce.

Elle apprend qu’elle a un cancer du sein. Dès lors, le film se déroule entièrement à l’hôpital, et passe du genre dramatique au documentaire à caractère scientifique dans la lignée du Dr Commandon, Jean Painlevé et Germaine Dulac. On assiste pour une des premières fois dans le cinéma de fiction à une opération chirurgicale – une double mastectomie montrée en détail. Rien n’échappe à la caméra. On se souvient qu’en France, Agnès Varda abordait à son tour cette question dans Cléo de 5 à 7, mais sept ans plus tard, en se bornant à l’attente du diagnostic.

La femme désirante

L’épreuve change la protagoniste du tout au tout. Elle se met à désobéir; elle s’échappe de la clinique pour revoir son fils; son caractère devient agressif; ses réactions, imprévisibles. Elle repense à son ami Takashi Hori, emporté par la tuberculose, et demande à sa veuve, Kinuko, sans pudeur ni retenue, de lui préparer un bain dans la baignoire du couple. Elle clame son amour pour le défunt et exhibe ses cicatrices comme des stigmates – Takashi était catholique, il faut préciser.

Nouvelle transsubstantiation diégétique et filmique : le sourire sardonique aux lèvres, la douce Fumiko se métamorphose en sorcière vengeresse. Maternité éternelle prend une tournure fantastique, une tonalité métaphysique. Entre en scène un deus ex machina, prénommé Aoki, un journaliste qui met en perspective le récit et bouleverse, littéralement, littérairement, la destinée de l’héroïne. Le jeune homme prend la figure du hiérophante. Il devient pour Fumiko objet passionnel – et transférentiel. Eros et Thanatos ont, comme on voit, partie liée.

Visuel : Yumeji Tsukioka dans Maternité éternelle, photo : Carlotta films.

 

“Coloris Vitalis”, la leçon de vie du Clown Gramblanc
Nick Cave versus ChatGPT
Nicole Gabriel

Publier un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Your email address will not be published. Required fields are marked *


Soutenez Toute La Culture
Registration