
Jean-Charles Fitoussi à la Cinémathèque : une odyssée loufoque et grave, à vivre
Le réalisateur français, âgé de 42 ans, se voit offrir une rétrospective de ses films par la Cinémathèque française. Hier, ouverture sous les applaudissements, suivie de la projection de son film Je ne suis pas morte. Son style, intellectuel, saugrenu, en continuelle rupture, mais aussi drôle et sensible, est mis à l’honneur deux semaines durant. Un cinéma attachant.
Il est monté sur scène, et a été applaudi par toute la salle de la Cinémathèque française. Si on concentre son attention sur lui, on peut se dire que Jean-Charles Fitoussi se comporte en « vrai artiste ». Intimidé, lunaire, penché, demandant à ses acteurs et aux membres des équipes techniques assis dans les gradins de venir le rejoindre, il veut parler de son univers pour nous inviter à y pénétrer. Cet univers fonctionne au gré de ses envies: il a par exemple tourné le film que nous allons voir, Je ne suis pas morte, qui dure trois heures et dix minutes, parce qu’il éprouvait le désir de « filmer Paris en été ». Il travaille ainsi en marge des impératifs commerciaux et même des critères servant à qualifier un « film » dans le circuit de la distribution: une partie de sa production est composée de courts-métrages, et ses longs font montre de partis pris tranchés et risqués. Nocturnes pour le roi de Rome, sorti en 2010, par exemple, a été tourné entièrement grâce à la caméra d’un téléphone portable. Son long-métrage de cinéma le plus idéal, peut-être, pour entrer dans son oeuvre, s’appelle Les Jours où je n’existe pas, et est sorti en 2003. Il s’agissait d’un conte philosophique teinté de fantastique, à l’esthétique sobre, mettant en scène un homme qui « n’existait qu’un jour sur deux ».
Jean-François Rauger, directeur de programmation de la Cinémathèque présent hier, et Bernard Benoliel, directeur de l’Action culturelle du lieu, rattachent ainsi le cinéma de Fitoussi, qu’ils considèrent comme l’un des meilleurs réalisateurs français actuels, au « genre fantastique », et précisent qu’il « traque les manifestations du hasard ». L’œuvre complète de Jean-Charles Fitoussi porte en effet un titre générique: « Le Château de hasard ». Chaque film en est une « pièce », une salle. Il nous invite à visiter un grand parc d’attraction intellectuel et sensible, animé par des figures d’humains confrontés à des fantômes. Doit-on avoir peur ou en rire ? La vision de Je ne suis pas morte, tourné entre 2004 et 2008, pas sorti en salles et joué à la fois par des acteurs et des non-professionnels, procure ces deux sentiments. Et bien plus.
Qui sont les protagonistes de cette histoire folle, fleuve, fantastique, philosophique et réjouissante ? Il y en a quatre : Hélène, jeune fille dont la mère est sur le point de mourir ; Frédéric (joué par Frédéric Bonpart), qui n’arrive pas à tuer son amour pour sa femme, dont il s’est récemment séparé ; Jacopo (incarné par un tout jeune homme, entré depuis à l’ENS en philosophie), jeune garçon italien à la recherche de son amour, une claveciniste, que le vice est sur le point d’assassiner ; et surtout Alix (Alix Derouin), « création du Docteur Stein » (scientifique joué par le philosophe Frédéric Schiffter), « née » avec un corps de femme de 27 ans. C’est avec elle que tout commence: elle évolue dans Paris en pleine saison estivale, à la recherche d’un sentiment amoureux « qu’elle ne peut pas éprouver », suivie par Laurent, âme damnée du Docteur Stein. Elle va connaître ce qu’elle croit être une passion, avec le jeune Alexis (Alexis Loret), puis le laisser tomber. Alexis, malheureux, se confiera à Frédéric, son frère, voisin de la jeune Hélène, lui aussi en pleine tentative de deuil de séparation, qui se verra aidé par Jacopo, engagé dans une quête initiatique…
Les difficultés du sentiment amoureux et l’ombre de la mort qui guette : voici les thématiques qui courent le long de cette œuvre hors norme. Cependant, nulle lourdeur dans le traitement opéré par Jean-Charles Fitoussi. Au contraire : un côté distancié parfois -Laurent, l’âme damnée du Docteur Stein, incarné par Laurent Talon, a une diction « Nouvelle vague » et un physique à la Jean-Pierre Léaud – des passages de fantastique, sans aucun effet spécial –Frédéric « hanté » par les souvenirs de sa femme- de l’humour pur –lors de la quête de Jacopo, la rencontre avec un apprenti proxénète haut en couleur- des épanchements de tristesse –le parcours de Frédéric dans sa mémoire…et beaucoup de musique classique, avec une prédilection pour Mozart. Surtout donc, on garde en mémoire la capacité du réalisateur à passer avec la plus grande aisance d’un genre cinématographique à l’autre, à embrasser un grand nombre de thématiques, qui savent nous être proches, et à faire naître, dans sa quête du hasard, des frictions qui provoquent de la vie et nous tiennent en haleine. Je ne suis pas morte, film dans lequel on sent des liens avec d’autres représentants français de la (plus si) jeune génération, comme Alain Guiraudie (L’Inconnu du lac) ou Serge Bozon (La France, Tip top) apparaît comme une porte d’entrée dans une œuvre intellectuelle qui a le souci de parler au public, et, plus que d’expliquer, de faire naître chez lui des émotions. Une œuvre qu’on est en droit de trouver terriblement attachante.
Je ne suis pas morte sera projeté à nouveau à la Cinémathèque française, le samedi 1er février à 19h30.
Visuel: L’Enclos du temps de Jean-Charles Fitoussi, 2012 © Jean-Charles Fitoussi
Je ne suis pas morte de Jean-Charles Fitoussi, 2008 © Jean-Charles Fitoussi