Cinema
Jasmine, beau film d’amour remodelé dans l’Iran de Khomeiny

Jasmine, beau film d’amour remodelé dans l’Iran de Khomeiny

10 October 2013 | PAR Olivia Leboyer

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 [rating=5]

Avec ce Jasmine, Alain Ughetto réalise un film autobiographique pudique (la pâte àmodelerremplace les corps) et sensible sur un amour perdu il y a trente ans, au cœur de la Révolution iranienne. Sortie le 30 octobre 2013.

Comment parler d’un amour passé ? Que retenir d’une belle histoire, que l’on a gâchée ? Alain Ughetto entreprend une recherche difficile : se souvenir de son idylle avec Jasmine, cette jeune fille iranienne rencontrée à Aix, et avec laquelle il a vécu quelques mois en Iran, avant la séparation. Que s’est-il passé ? Le sait-on jamais ? Il y a, dans ce film, une modestie, une pudeur, vraiment touchantes. Alain Ughetto raconte sa propre histoire, avec simplicité, avec une tristesse intacte, trente ans après. Avec Jasmine, l’histoire n’a duré que quelques mois, entre l’été 1978 et avril 1979, le temps de la passion et des malentendus. A trente ans de distance, le réalisateur tente de ranimer le souvenir, en exhumant les lettres que la jeune fille, qui étudiait le théâtre de l’absurde et rêvait d’une société nouvelle, lui a écrites. Ces traces, cette voix, nous les entendons, échos précieux, retrouvés pour un instant magique. Fanzaneh Namzi et Jean-Pierre Darroussin lisent, avec ferveur et, déjà, une note de mélancolie, ces lettres pleines de promesses.

Alain Ughetto parle d’un temps perdu, d’une jeune fille aimée, mais dont les traits, au fil des années, ont fini par s’estomper progressivement. Pour figurer cette perte, il a choisi de nous montrer deux figurines en pâte à modeler. Lui en jaune, elle en bleu. L’idée est très belle, poétique et pudique. L’être aimé est cet objet précieux, tout bleu, souple, d’une belle plasticité. La scène d’amour, où les deux pâtes se mélangent en se malaxant, est tendre et émouvante. Ce joli procédé de représentation souligne, avec dérision, le travail du temps qui passe. De son côté, quelles images Jasmine a-t-elle gardées ? Cet amour en pleine révolution iranienne, à l’époque de Khomeiny, se mêle à l’espoir, à la déception, à la peur. L’Histoire est à l’œuvre, celle dont tout le monde se souvient. Aussi Alain Ughetto choisit-il de montrer vraiment le Shah, l’ayatollah Khomeiny, au moyen d’images d’archives. Pas de pâte à modeler pour eux, qui ont laissé leur marque dans l’Histoire.

Pour Jasmine et Alain, en revanche, l’histoire était secrète, intime, fragile. Avec sincérité, Alain Ughetto avoue ce paradoxe : aux instants décisifs, on ne sait plus vraiment qui a dit quoi, qui a proposé de vivre ensemble, ou qui a montré les premiers signes de lassitude… Peut-être n’a-t-il pas mesuré, alors, l’amour de Jasmine ? Peut-être aurait-il pu répondre autre chose, ne pas prendre la fuite. Bien sûr, on se donne des raisons : « Dans mon esprit, à cet instant, je n’abandonnais pas Jasmine, je préparais son arrivée en France », lance Darroussin avec une conviction un peu désespérée.

La démarche d’Alain Ughetto est très touchante : ressusciter un amour perdu, avouer ses erreurs de l’époque, retrouver le fil de l’histoire et nous faire ressentir la chair de la passion par le biais de la pâte à modeler, le projet, en soi, a quelque chose de merveilleux. Pour cette Jasmine, qui vit quelque part, c’est aussi un magnifique cadeau, une forme de réparation, trente ans après. Car les histoires d’amour peuvent, parfois, exister longtemps après, continuer à irradier dans la mémoire. On pense, par instants, au très beau Irène d’Alain Cavalier (2009), film construit lui aussi comme une enquête, minutieuse et triste. Irène était morte et Jasmine vivante. Le film d’Alain Ughetto possède une puissance d’évocation et une poésie très vivaces.

Un film autobiographique, original, pudique, que l’on vous recommande vivement.

Jasmine, d’Alain Ughetto, film d’animation (Compétition Annecy 2013), France, 70 minutes, avec les voix de Jean-Pierre Darroussin, Fanzaneh Namzi. Sortie le 30 octobre 2013.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

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