Cinema

Interview de Xavier Denamur pour République de la Malbouffe : un citoyen libre, semeur d’idées éclairées

06 February 2012 | PAR Olivia Leboyer

Sorti en salles mercredi 1er février, République de la Malbouffe est un documentaire passionnant et nécessaire sur les coulisses de la restauration (voir notre critique). Toute la culture a rencontré le restaurateur Xavier Denamur, un citoyen frondeur qui a le souci de l’éthique. Si, pour vous aussi, la République est un mot qui a du sens, allez voir République de la Malbouffe !

Votre film est très percutant et vise juste. Or, on cherche visiblement, parfois, à vous caricaturer, en vous accusant d’exagérer, de noircir la situation. Cela vous surprend-il ?

Xavier Denamur : Bien sûr que non. Ce que je dis en dérange plus d’un ! Mais d’où parlent ceux qui me critiquent ? On sait bien que certains grands chefs sont liés par contrats avec la grande distribution ou des industriels de l’agroalimentaire. On peut se demander s’ils n’ont pas oublié l’éthique de leur métier… Quant aux hommes politiques, attachés à leur parti, à leur chapelle, ils n’ont pas le courage d’affronter la question de la restauration. Aucun des programmes des candidats à la Présidentielle ne propose, pour l’instant, quoi que ce soit sur le problème ! Moi, ma force vient de ce que je ne suis pas récupérable. Je ne brigue pas un poste à responsabilités, je n’ai nul besoin de faire la pub de mes restaurants, je suis un citoyen libre, un résilient de la République comme dirait Boris Cyrulnik ! Je porte la parole de beaucoup de restaurateurs, qui n’ont pas forcément le temps, l’énergie ou la maîtrise de la rhétorique nécessaire pour s’engager dans un tel combat. Car, ce qui m’anime avant tout, c’est bien la défense de l’intérêt général !

Le titre République de la Malbouffe, les états généraux de la restauration, vous faites de nombreuses références historiques…

Oui, j’aime les mots, les idées et l’Histoire. La référence à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est, à mes yeux, capitale. Il faut revenir aux principes fondateurs de la République. L’égalité, la liberté, la transparence, ce sont des concepts, des mots, qui possèdent un sens très fort. Pour moi, la République, l’école, sont des institutions fondamentales : j’ai suivi des études d’urbaniste géographe, j’ai fait de la philo, je me suis émancipé par l’école, par le goût du savoir. Cette envie d’élever mon esprit, je l’ai ressentie très tôt. L’école a été pour moi un moyen de devenir libre : et la table également. Pour payer mes études, j’ai exercé des petits boulots de plongeur, de serveur et, déjà, l’univers de la table, de la convivialité, m’attirait particulièrement. Je suis un citoyen qui exerce son droit à interpeller le pouvoir. Ce que je désire, c’est précisément que l’impératif de la transparence, dans le domaine de la restauration, soit inscrit dans la loi. La lettre de la loi, voilà l’objectif que je poursuis. J’ai toujours eu un côté frondeur, insoumis, contre l’esprit de système et, surtout, contre l’esprit de corps. Dans la restauration, la pression du corporatisme a vraiment quelque chose de très gênant ! La mainmise des grands groupes sur toute une partie du secteur est évidemment aussi lourde qu’une chape de plomb. Bon nombre de questions mériteraient qu’on les soulève : De quelle liberté dispose la Caisse des dépôts et consignation ? Il ne semble pas qu’elle montre l’exemple ! Qui a donné les ordres pour acheter Quick ? Le déclin des grandes brasseries parisiennes est, bien sûr, imputable à leur rachat par des gros groupes. Ce qui est servi au client, c’est de la nourriture industrielle. Et certains quatre étoiles luxe ne proposent pas toujours des plats de qualité, faits maison, comme on l’attendrait pour le prix demandé !

Votre film dénonce une situation alarmante, tout en restant, dans sa forme, extrêmement vivifiant, ludique : on ne décroche à aucun moment.

Oui, je pense que les idées se transmettent avec beaucoup plus de force si elles sont présentées de manière ludique ! Sur le site des états généraux de la restauration, j’ai d’ailleurs veillé à ce que les articles, propositions, conseils alimentaires apparaissent sur ce mode humoristique, frais, percutant ! La musique du film, très dynamique, entraînante, participe de cet esprit de saine révolte (composition originale du jeune groupe L’Homme parle). Il s’agit de toucher tout le monde, y compris les jeunes enfants. Dès l’école, dès le jeune âge, ils développent leur palais. Bien ou mal manger, ces comportements résultent bien souvent de l’éducation. Si, déjà, on arrivait à améliorer substantiellement la qualité des repas servis dans les cantines, ce serait une belle avancée ! Combien d’élus locaux, aujourd’hui, accepteraient d’aller déjeuner une fois par semaine dans une cantine ? Ils devraient s’engager à le faire ! La législation doit être étoffée, précisée sur toutes ces questions essentielles : si les restaurateurs étaient véritablement tenus, obligés, de délivrer aux consommateurs toutes les informations (provenance des produits, circuit alimentaire, modes de conservation et de cuisson, etc.), nous gagnerions en transparence et, donc, en qualité ! Ce sont en fait des idées toutes simples, de bon sens, et réalisables ! Je suis loin d’être un illuminé : mes propositions sont concrètes, étayées, logiques (voir le site des vrais états généraux de la restauration. Dans le même esprit, je conseille également la lecture du très bon livre Famine au Sud, Malbouffe au Nord de Marc Dufumier (éditions Nil, 2012). Je crois beaucoup à la force de l’exemple : aller du local vers le global, de la micro-économie vers la macro. C’est en commençant, chacun à sa mesure, à appliquer nos idées, conformément aux valeurs qui nous animent, qu’on mettra en branle un mouvement.

Dans le film, la question épineuse de la baisse de la TVA est, en effet, expliquée avec clarté …

Oui, il est très facile et très paresseux de toujours prétendre que les choses sont compliquées… Il faut simplement faire en sorte que les choses compliquées s’expliquent ! Sur cette question de la baisse de la TVA, j’ai naturellement réfléchi et je propose un système clair et logique (voir les propositions sur www.vegr.fr, qui permettra de mettre en place une TVA juste et redistributive.

République de la Malbouffe est sorti sur les écrans : dans trop peu de salles encore ?

Précisément, nous aimerions que le plus de gens possible aillent voir le film et en discutent. Il est regrettable que des gros exploitants comme MK2 nous aient fermé la porte sous prétexte que le film ne correspondrait pas à leur public. L’idée est vraiment d’initier un grand débat citoyen ! Nous comptons beaucoup sur le “bouffe à oreille”. En province, des gens ont déjà, par exemple, écrit à leur cinéma pour demander une projection du film souvent suivie d’un débat! C’est une réaction formidable, qui nous fait très plaisir. Imaginons partout fleurir des cinemas de campagne avec parfois des buffets républicains, nous aurions au moins participé au préambule du sursaut citoyen qui aura bien lieu. Car, ce que nous souhaitons, c’est que nos idées vivent, qu’elles croissent en liberté ! Je suis un peu comme un semeur, en fait… J’aime bien cette image !

République de la Malbouffe, de Jacques Goldstein, sur une idée originale de Xavier Denamur, 72 minutes. Sortie le 1er février 2012.

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Olivia Leboyer
Docteure en sciences-politiques, titulaire d’un DEA de littérature à la Sorbonne  et enseignante à sciences-po Paris, Olivia écrit principalement sur le cinéma et sur la gastronomie. Elle est l'auteure de "Élite et libéralisme", paru en 2012 chez CNRS éditions.

One thought on “Interview de Xavier Denamur pour République de la Malbouffe : un citoyen libre, semeur d’idées éclairées”

Commentaire(s)

  • Monsieur L’aubergiste, avant de poster votre tribune sous chaque article qui paraîtrait sur le film, prenez d’abord le temps de répondre à mes questions de ce matin postées sur votre blog, votre crédibilité en dépend. A nouveau les voici: “Pour le coté franchement drôle que vous annonciez hier, on repassera. Pour ce qui de votre critique, je n’ai malheureusement pas le temps d’y répondre de suite mais je veux bien que vous me démontriez en quoi “mes chiffres sont faux ou tronqués”. Le peu de citoyens qui lisent vos billets accorderont du crédit à vos propos si vous passez par cet exercice. Moi même je prendrais le temps de vous répondre si me faites cette démonstration que vous m’avez toujours refusé lorsque je vous y invitais. Courage monsieur “L’aubergiste de campagne” (au moins je vous inspire) et venez défendre vos idées face aux citoyens par forcément d’ACCOR dans les cinémas de campagne où est projeté le film avec débat. A table citoyen, l’heure de la dialectique en politique a sonné. PS: pour ce qui de la légion d’honneur et du PS, jeté un oeil à l’Edition Spécial de Canal + de vendredi, ça vous évitera d’asséner des contre vérités sur mes positions politiques. http://player.canalplus.fr/#/585974 Dernière chose, lorsque l’on se dit démocrate, on laisse la possibilité aux citoyens d’entendre d’autres sons de cloches, rajoutez le lien pour le site du film, je mettrais votre billet dans les critiques sur le site de République de la Malbouffe, ça vous donnera un peu de visibilité. http://www.republiquedelamalbouffe.com/archives

    February 6, 2012 at 21 h 07 min

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