Cinema
Fleur pâle : le chef d’œuvre de la Nouvelle Vague nippone des années 60 ressort

Fleur pâle : le chef d’œuvre de la Nouvelle Vague nippone des années 60 ressort

09 May 2023 | PAR Nicole Gabriel

Fleur pâle (1964), qui sort en DVD, en Blu-Ray et en salle, à la fin du mois, est le film avec lequel Masahiro Shinoda s’imposa comme cinéaste après avoir débuté comme assistant d’Ozu. Avec Nagisha Oshima, Yoshishige Yoshida et Shohei Imamura, il est l’une des figures marquantes de ce que l’on a appelé la Nouvelle vague japonaise.

Les jeux sont faits

Ces auteurs avaient en commun la défense du 7e Art menacé par le succès croissant de la télévision. Fleur pâle se réfère selon l’auteur à Baudelaire. Alors qu’Ozu était passé à la couleur, Shinoda tourne son long métrage en noir et blanc. En noir plus qu’en blanc, compte tenu de sa tonalité nocturne. Il hybride deux genres en vogue au Japon :  le film de yakuzas et le Bakuto-eiga (du drame de joueur). Un long pré-générique situe l’action dans une gare noire de monde, celle d’Ueno. En voix off, comme c’est fréquent dans les thrillers hollywoodiens, un homme rumine ses pensées pessimistes. Il vient de purger trois ans de prison pour un meurtre commandité par son clan. Il se demande bien pourquoi c’est si grave que ça de tuer un homme. Ces réflexions rappellent, par leur nihilisme, celles du Raskolnikov de Dostoïevski, du Lafcadio de Gide, du Meursault de Camus.

Notre anti-héros se rend en terrain connu : une salle de jeu où il retrouve de vieilles connaissances. On découvre alors son visage en gros plan, celui d’un homme âgé d’une bonne quarantaine, fatigué et impassible (Ryo Ikebe). La partie de jeu de cartes fait l’objet d’une séquence captée par le directeur de la photographie, Masao Kosugi. D’une grande beauté visuelle, admirablement cadrée et photographiée, mais aussi sonore – grâce à une composition musicale bruitiste de Toru Takemitsu, mixant cliquetis des cartes en bois du Hanufada (ou « jeu des fleurs »), notes de cithare et stridences free jazz, le tout couvert par l’antienne du croupier. Les parieurs sont disposés autour d’une table basse. On assiste à une cérémonie secrète, à l’écart du monde réel, d’autant que les jeux d’argents étaient alors prohibés dans le pays. Ce respect du détail ne manqua d’attirer l’attention la censure, mais il fut pour beaucoup dans le succès du film.

Amour fou

Au milieu des durs à cuire de tout poil, tatoués de plus ou moins fraîche date, Muraki, le protagoniste, remarque la main délicate, puis le profil d’une jeune fille qui mise gros, gagne ou perd avec la même froideur. Fleur pâle, c’est elle (Mariko Kaga) qui détonne dans ce domaine réservé aux hommes. Le personnage a pour prénom Saeko et est à cent lieues (environ 15000 hiros) des stéréotypes de la petite hina soumise ou de la geisha. Elle tranche sur les machos, prisonniers du vieux monde, captifs d’un système clanique immuable. Le couple fatal ainsi défini, le drame peut commencer.

La femme-enfant va accompagner Muraki vers son destin funeste. Le coup de foudre qui a frappé ce dernier n’est pas réciproque, Saeko restant une pure énigme. Elle « flambe », littéralement, aimant tromper la mort, roulant à plein régime au volant de sa voiture de sport. Qui plus est, elle est attirée par un autre individu, d’allure louche et « aux yeux de camé » qui ne cesse de les observer. Ce splendide film d’amour et de mort relève du romantisme allemand revu et corrigé par l’expressionnisme.

Visuel : photo de l’affiche du film © Carlotta Films.

Édité en DVD et Blu-Ray par Carlotta Film.

Sortie en salles : le 31 mai 2023

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