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Festival du film de La Rochelle 2022 : rencontre avec Philippe Faucon autour des « Harkis »

Festival du film de La Rochelle 2022 : rencontre avec Philippe Faucon autour des « Harkis »

05 July 2022 | PAR Cedric Chaory

Avec “Les Harkis”, Philippe Faucon reconstitue les derniers feux de la guerre d’Algérie. En se focalisant sur le sentiment d’abandon des jeunes Algériens, rangés aux côtés de l’armée française, le réalisateur signe une oeuvre honnête, au cordeau, filmée à hauteur d’homme. Rencontre à l’occasion de l’avant-première du film au FEMA.

Vous avez dit que pour vous « la guerre d’Algérie est une période obsédante ». Après La Trahison, film réalisé il y a 15 ans, vous revenez sur ce sujet avec un point de vue différent. Pourquoi ?

Je suis né au moment de la guerre, de parents qui l’ont vécu et qui en ont été très marqués. J’ai passé ma petite enfance au Maroc et en Algérie où mon père était militaire. Mes parents ont vécu dans ce pays les quatre dernières années de la Guerre d’Algérie. Lorsque j’étais enfant c’était un sujet dont on ne parlait pas. J’ai donc grandi avec une sorte de tabou, quelque chose de très à vif sur la question. C’est sans doute pour cela que je me suis intéressé à cette guerre, adulte. La Trahison fut tournée après ma lecture du livre éponyme de Claude Sales (NDLR : paru en 1999). Je lui ai proposé d’en écrire le scénario, après avoir rencontré de nombreux acteurs de cette période. Je savais qu’il avait cette envie de parler de ce conflit dont les horreurs étaient mises sous le tapis. Sa grande peur était que cette sale guerre soit un jour oubliée. Puis je suis retombé, bien plus tard, sur tout le travail que nous avions réalisé ensemble pour le tournage de La trahison. Notamment des choses que je n’avais pas utilisées et qui m’ont donné le désir de revenir sur le sujet.

Comment avez-vous co-écrit Les Harkis, qui agglomèrent témoignages, lectures et toute cette diversité de raisons de devenir harkis ?

Ma principale source d’inspiration, mon fil conducteur fut un ouvrage qui a été écrit, à l’époque, par une responsable d’une harka, troupe de milice levée par une autorité politique. Je l’avais lu au temps de La trahison et il fut là mon point de départ. Le film n’est pas son adaptation mais il en reste quelques éléments. Ensuite il m’a fallu effectivement voir plus large, documenté tout cela. Le livre était une sorte de journal qui raconte des faits, comme un récit. Il m’a fallu donner corps, incarner tous les personnages qui traversaient ce livre. Expliquer leur point de vue, leur contradiction, leur impasse … Le travail d’écriture fut effectivement un agglomérat de plusieurs sources pour aboutir à un scénario.

Vous pointez clairement la responsabilité de l’état français. Parmi les français, le personnage du Lieutenant Pascal, homme qui décide de ne pas abandonner ces Harkis, est particulièrement puissant. Comment l’avez-vous inventé ?

Des lieutenant Pascal, il en a existé. Je pense que Pascal, comme presque tous les jeunes Français de sa génération, se retrouve pris au piège de la guerre, dans un pays inconnu. Il vit les évènements à son niveau, les juge avec ses moyens, faisant ce qu’il peut pour ne pas se dissoudre dans un contexte de violence, de confusion, de folie et de tensions très oppressant. Son moment de vérité intervient au paroxysme de la situation dramatique dans laquelle se retrouvent pris les hommes avec qui il a vécu cette période de guerre. Il estime qu’il ne peut pas laisser ses harkis dans une situation d’incertitude. Oui, quelques soldats ont eu cette attitude.

Comme vos précédents films, Les Harkis est un film bref. Implacable et au cordeau, il est d’une rare efficacité narrative. Un choix délibéré ?

Je dirais que c’est à la fois un parti pris et une nécessité. Il est vrai qu’il s’agit d’une histoire dramatique à plus d’un titre mais j’ai souhaité dès le début la raconter sans recherche d’effet, de surcharge ou de pathos. Et ce de l’écriture du scénario jusqu’au montage. Et puis il faut aussi dire que le film a été difficile à financer. Il a été tourné en pleine période de confinements dûs au Covid. Nous ne savions pas si notre casting, essentiellement constitué de comédiens algériens, pourrait sortir de son pays aux frontières fermées. Le temps du tournage fut raccourci comme son budget.

Est-ce pour cela que des cartons explicatifs sur le dénouement de cette guerre clôturent le film ?

En partie. Je n’aurais pas pu tourner dans des décors urbains. Il en reste, en Algérie comme au Maroc, très peu qui sont d’époque. Les reconstituer aurait été bien trop couteux. Sans compter la gestion de tournage en ville avec les rues à bloquer, etc.

Pour en revenir au budget, on se doute que réaliser un film de guerre anti-spectaculaire ne facilite pas son financement ?

Clairement. Sans compter que la guerre d’Algérie reste un sujet toujours très épineux. Les financeurs vous disent que cela n’intéressera pas le public, que l’histoire est lointaine (NDR : 60 ans cette année). Bref c’est un sujet qui fait courir un risque à l’investissement d’où le choix d’une solide co-production entre la Belgique, la France et la participation à des niveaux différents du Maroc et de l’Union Européenne.

Propos recueillis lors de la rencontre publique animée par Nicolas Thévenin, retranscrits par Cédric Chaory.

Les Harkis de Philippe Faucon – Sortie nationale le 12 octobre 2022

Visuel : image extraite du film

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Cedric Chaory

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