Cinema
[Étrange Festival 2018] “La Casa Lobo”, film d’animation grandiose et labyrinthique

[Étrange Festival 2018] “La Casa Lobo”, film d’animation grandiose et labyrinthique

09 September 2018 | PAR Geoffrey Nabavian

Au sein de la section Nouveaux talents de l’Étrange Festival 2018, ce dessin animé pour adultes mêlant une foule de techniques s’est imposé comme une belle réussite. Bien que plusieurs visions apparaissent nécessaires pour saisir tous ses symboles…

[rating=4]

Voici l’histoire d’une gamine nommée Maria qui s’enfuit d’un camp pour enfants, où sont pratiqués l’élevage d’animaux et la fabrique du miel. Un camp situé au Chili. En fuite dans la forêt, elle pousse la porte d’une maison abandonnée dans laquelle elle s’installe.

D’emblée, dans ce film d’animation signé par les chiliens Joaquin Cocina et Cristobal Leon, et remarqué au Festival d’Annecy et à la Berlinale 2018, la réalisation impose ses panoramiques : la caméra se glisse en fait en quasi-permanence le long des murs de cette maison peu ordinaire. Et la jeune Maria les habite, ces murs, au sens propre : son image se matérialise sur eux, et vit en eux. De temps à autres, elle surgit d’eux, aussi, sous la forme d’une poupée en papier mâché, dont le corps se fait et se défait à loisir, au gré de ses sentiments et états mentaux.

Une technique vertigineuse

Dessin animé d’un peu plus d’une heure, coloré et torturé, merveilleux et noir, La Casa Lobo est une splendeur visuelle. L’élément le plus réussi, parmi les procédés qu’il emploie, est le mouvement permanent qui habite tous les objets de la maison. Un montage des plus experts permet d’atteindre cette réussite : dans cette maison où s’est réfugiée Maria, tout se déconstruit et se reconstruit à vitesse éclair. Et le paysage mental de l’héroïne apparaît, sous nos yeux

Faites de tissu, de bois ou encore de papier mâché, ses visions qui se matérialisent dans les différentes pièces laissent ébloui. La fluidité du film marque. Son usage des voix-off aussi : si les images coulent comme l’eau, les mots dits par Maria viennent se mêler à elles, avec un tempo mesuré, habité, qui amène au sein du film une atmosphère caressante, et peut-être dangereuse aussi (Amalia Kassai, dans ce rôle vocal, est exceptionnelle).

Des thèmes noirs

Qu’y fait-elle, Maria, dans cette maison où elle s’est réfugiée ? À quoi pense-t-elle ? Qu’imagine-t-elle ? Elle y découvre deux petits cochons inoffensifs, dont elle se met à s’occuper. Deux petits cochons qu’elle croit rendre humains, grâce au pouvoir de sa “balle magique”. Deux petits cochons qu’elle veut protéger du “loup”, qui la poursuit, et dont on entend aussi la voix. Maria adorait, en effet, s’occuper des cochons dans le camp dont elle est partie. Un camp où on a voulu la punir…

Merveilleuse, cette histoire ? Plutôt hantée par de sombres réalités passées. Ce camp situé au Chili, évoqué au fil du récit, est la tristement célèbre Colonie Dignidad, où sévit l’ancien nazi pédophile Paul Schäfer, et où la torture fut pratiquée, pendant la dictature de Pinochet. Au détour des phrases dites en voix-off, Maria évoque ces faits, de façon assez lointaine. Suffisante, cependant, pour percevoir peu à peu que l’héroïne cherche, peut-être, à se reconstruire et à renaître, dans cette maison.

Le film ne livre pas ses règles facilement : il faut se donner, au départ, et pendant une bonne partie de ses séquences ensuite, la peine de le regarder et de le comprendre. On a l’impression du même coup de ne pas saisir toute les symboliques de ses scènes, lorsqu’on le regarde pour la première fois. L’acte final, du même coup, semble venir de façon un peu abrupte, et la conclusion, très sombre, ne frappe pas peut-être aussi fort qu’elle le devrait, lorsqu’on n’a pas compris tous les symboles tout de suite (les petits cochons, notamment). La Casa Lobo fait partie de ces films, découverts à l’Étrange Festival, qu’on a envie d’emmener chez soi à la sortie de la salle, et de revoir tout de suite. À la façon du magnifique Where horses go to die, d’Antony Hickling, réalisateur présent cette année au Festival

Exercice artistique très abouti, ce film d’animation reste en tout cas en tête. On a hâte de le voir arriver dans les circuits de distribution français. En DVD, sans doute. Tant mieux…

La vingt-quatrième édition de l’Étrange Festival, qui se poursuit jusqu’au 16 septembre, recèle d’autres pépites à découvrir dans sa section Nouveaux talents. Au sein de sa section Compétition Internationale, également, le très bon The Dark (critique ici) est à voir le 11 septembre à 16h15.

La Casa Lobo, un film d’animation (pas destiné aux enfants) de Joaquin Cocina et Cristobal Leon. Durée : 1h10. Interdit aux moins de 12 ans.

Visuels : © Diluvio Films

Infos pratiques

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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