Cinema
[Entrevues] Belfort, jour 6 : le goût exquis de monsieur Kyoshi Kurosawa

[Entrevues] Belfort, jour 6 : le goût exquis de monsieur Kyoshi Kurosawa

28 November 2014 | PAR Yaël Hirsch

Arrivée sous le soleil dans un Belfort en fête, ce jeudi 27 novembre, pour Toute La Culture. Toute cette semaine, en plus du public des fidèles d’Entrevues, 400 lycéens remplissaient les salles du grand complexe Pathé où se déroule cette 29ème édition du Festival. Et pour notre premier jour, nous avons décidé de suivre le réalisateur Kyoshi Kurosawa, dans ses goûts et ses films. Un grand voyage de cinéma au cœur de la Franche-Comté.

Lorsqu’on arrive à la projection de 18h, la salle est comble pour un chef d’oeuvre trop peu connu de Claire Denis : Nenette et Boni (1996). Dans le cadre de la carte blanche et des “double features” qui lui a été offerte, Kyoshi Kurosawa a choisi ce petit bijou pour le mettre en parallèle avec son film Jelly Fish (2002). Il présente Nenette et Boni aux côtés de Lili Hinstin, la directrice d’Entrevues, avec humour, a propos et humilité. Il avoue son admiration pour Claire Denis et explique que l’exercice qui consiste à montrer ce qu’il considère comme des chefs d’oeuvre avant ses propres films est bien difficile. Puis il fait une seule remarque sur le film de Claire Denis, qui est très juste: l’importance du mélange des matières molles (la pâte à pain) et des matières tranchantes et dures.

Le générique du Festival défile, rythmé par un Jazz Manouche griffé Tony Gatlif et la salle entière bat des mains, comme impatiente de voir le film. Commence, en 35 mm, et déjà comme abîmé par le temps, Nenette et Boni. l’histoire d’un frère et d’une sœur adolescents orphelins de mères et livrés à eux mêmes au Canet, en défiance du père. Boni (Grégoire Colin) est pizzaïolo et en pince pour une belle boulangère plus âgée et très mariée (Valeria-Bruni Tedeschi, fellinienne), Nenette (Alice Houri) fume clope sur clope et se réfugie auprès de lui, dans la maison délabrée laissée par leur mère; Ensemble, ils réinventent le monde et la liberté. Films de désir et de fougue, admirablement mené, Nenette et Boni est peuplé de personnages irrésistibles. L’art de la suggestion, l’amour des corps, la sensualité de la matière & la force de frappe visuelle de Claire Denis débordent le spectateur qui se (re)trouve aux prises avec toutes les pulsions de l’adolescence : du génie à l’état pur.

En voyant le Jelly Fish de Kyoshi Kurosawa dans la foulée, on voir bien l’inspiration : deux post-adolescents cultivent leur méduse rouge et vénéneuse, molle et qui tue quand elle pique. A cette métaphore du refus des conventions sociales s’ajoute à la fois la dureté de l’aîné des deux personnages, qui endosse jusqu’au meurtre du patron. Et la tendresse d’un père à la sollicitude débordante, aux principes justes et prêt à aider la jeunesse à donner sens au monde. C’est une version un peu mélancolique d’une adolescence tardive, où le “non” prime le oui et où la pulsion de mort engloutit le désir si bien mis en scène par Claire Denis. Reste l’ambivalence gélatineuse de la méduse comme passeport pour cet ailleurs auquel conduit la mer qui englobe le Japon…

L’ailleurs est le motif principal du troisième film du cycle Kurosawa de cette soirée. Il s’agit de Seventh Code, un film inédit en France, primé pour la mise en scène au Festival de Rome en 2013 et qui tourne autour d’une chanson de la pop star japonais Atsuko Maeda. En héroïne apparemment amoureuse, celle-ci débarque dans un Vladivostock magnifié par la caméra de Kurosawa pour retrouver un homme. Mais un japonais qui traîne dans la cité qui ouvre sur l’Europe est probablement impliqué dans des affaires louches avec la mafia locale. Un faux air de guerre froide vient épicer ce film très peu caractéristique de l’art de Kurosawa, où tout est drôle, sexy et léger. S’il y a de quoi tomber amoureux de la starlette japonaise qui tient le rôle principal, après les deux autres films, ce morceau assume la légèreté et le kitsch d’un clip de musique…

Minuit arrive sur Belfort, les projections sont finies, mais le festival connait ses meilleures after-hours avec un souper délicieux dans la salle des fêtes de la ville, où staff, monde du cinéma, invités et presse décantent leur journée devant une assiette chaude. Puis vers 1h commence la vraie fête, orchestrée par deux DJs très inspirés par les BO des films qu’on a dorés et qui ont su nous faire danser jusqu’à une heure avancée de la nuit dans une salle de concert mythique : la poudrière de Belfort, qui semble couvée par le fameux lion, qu’il faut deviner dans la nuit…

Rendez-vous vendredi 28 novembre pour une autre journée de 7 e art et de fête, au Festival Entrevues.

visuels : Yaël Hirsch

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Yaël Hirsch
Co-responsable de la rédaction, Yaël est journaliste (carte de presse n° 116976), docteure en sciences-politiques, chargée de cours à Sciences-Po Paris dont elle est diplômée et titulaire d’un DEA en littérature comparée à la Sorbonne. Elle écrit dans toutes les rubriques, avec un fort accent sur les livres et les expositions. Contact : [email protected]

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