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“Parler avec les morts”, un documentaire sur la reconstruction de Taina Tervonen

“Parler avec les morts”, un documentaire sur la reconstruction de Taina Tervonen

09 February 2022 | PAR La Rédaction

Repéré aux étoiles du documentaire en novembre dernier, et actuellement disponible sur Tënk, Parler avec les morts de Taina Tervonen s’ouvre sur la découverte d’un charnier au nord de la Bosnie, vingt-cinq ans après la fin de la guerre. Un sujet que la journaliste aborde aussi dans son livre Les fossoyeuses paru en 2021 aux éditions Marchialy. Le film participe à la reconstruction et comme ces “fossoyeuses” aide lui aussi à faire remonter la mémoire à la surface.

Par Maud Tenda

La recherche des proches des victimes.

Dans cette quête de mémoire l’on suit Darija, une jeune femme qui arpente les campagnes bosniennes à la recherche des familles de victimes, la cigarette à la main, l’autre sur le volant. Nous la suivons dans des paysages déserts, où apparaissent de temps à autre des carcasses de voitures ou des maisons abandonnées, toutes ne le sont pas et Darija se gare au fond d’un chemin pour espérer trouver un parent d’un des défunts de sa liste. On a l’impression de la suivre dans un paysage de la mémoire, peuplé de personnages usés par l’attente et la guerre, un monsieur dont elle vient prélever le sang au début du film lui dit : « je suis écrasé par la guerre, par la fuite. » Et en effet, il nous semble sentir le poids qui pèse sur leurs épaules, les mains du vieil homme sont calleuses et noires, on se demande si Darija va réussir à lui prélever une goutte de sang tant ses mains semblent davantage être faites de bois que de chaire.

Parler avec les morts, est un film qui parle du deuil impossible et du besoin de rétablir in extremis une mémoire qui semble s’être usée elle-aussi. Lors de la rencontre de Darija avec les familles, il n’y a pas d’effusion de larmes, pas de cri, juste des femmes et des hommes fatigués et qui semblent s’être habitués à cette fatigue. Le souvenir des défunts est cependant toujours vif et certains détails nous le rappellent, les parents répètent souvent plusieurs fois le nom de leurs proches disparus pendant que Darjia leur pose des questions, comme si ils souhaitaient par une incantation, les ramener à la vie le temps d’un instant. Entre deux questions formelles de Darija ils ne peuvent s’empêcher de donner des détails informels, « Il était toujours de bonne humeur ». La caméra est dans le film un témoin silencieux et respectueux des personnages qu’elle croise, la réalisatrice n’intervient pas, elle laisse les témoins nous expliquer cette souffrance à leur manière : cette femme dont le fils a été assassiné très jeune, vient d’apprendre que ce n’est pas le bon corps que l’on a mis dans la tombe. Elle explique qu’elle n’arrive jamais à écraser ses cigarettes, elle les laisse s’éteindre seules sur le bord du cendrier. On sait que si Taina Tervonen a laissé le plan continuer pour nous permettre d’entendre l’histoire de cigarettes de cette femme, c’est qu’elle se demande comme nous, ce que cette femme ne souhaite réellement pas voir s’éteindre.

Mémoire et reconstruction : la tâche des jeunes

Nous suivons également toute la démarche scientifique de reconnaissance des corps. Dans un laboratoire, la nouvelle génération manipule les os et lave les vêtements trouvés dans la fosse. Nous entendons en fond une musique moderne, les chercheuses sont principalement des jeunes filles, la jeune génération s’occupe de rétablir la mémoire du passé, elle fait parler les morts. Un professeur leur apprend à manier les os et à les reconnaître, il y a un véritable travail sur la matière, il dit qu’« il faut les toucher, les sentir ». Nous suivons toute l’organisation méthodique et concrète pour reconnaître les victimes dans un but totalement immatériel et presque spirituel : le devoir de mémoire et le deuil. Le film porte une voix du passé qui mérite d’être entendue aujourd’hui compte tenu des récentes nouvelles sur une possible menace d’un nouvel éclatement en Bosnie-Herzégovine dû à la volonté séparatiste du leader serbe Milorad Dodik. Le devoir de mémoire laissé littéralement entre les mains de la nouvelle génération a d’autant plus d’importance que l’histoire semble déjà vouloir se répéter. Le film se clôt sur le plan d’une vieille dame qui pleure dans le cimetière fraîchement construit pour les dépouilles des victimes qui ont pu être reconnues. Un plan fixe de quelques minutes qui prend le temps d’observer cette femme pleurer et toucher les stèles en bois en marchant entre les rangers, elle ne s’arrête pas sur une tombe précise, en mère de toutes les victimes, elle semble pleurer pour quelque chose de plus large, pour une nation, pour la guerre, pour le passé.

Parler avec les morts, un documentaire de Taina Tervonen, 2020, 67 minutes. 
visuel : affiche du film

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