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Les premiers Blier et Corneau en DVD : des gestes forts, réédités par StudioCanal

Les premiers Blier et Corneau en DVD : des gestes forts, réédités par StudioCanal

14 March 2019 | PAR Geoffrey Nabavian

Chez StudioCanal, la collection DVD Make my day !, chapeautée par Jean-Baptiste Thoret, réédite des films rares. Au menu du neuvième volume, les premiers longs-métrages d’Alain Corneau et Bertrand Blier (qui voit sortir son nouveau film, Convoi exceptionnel, ces jours). Deux réalisations pas communes.

Les tout premiers longs-métrages de Bertrand Blier et Alain Corneau sont à nouveau disponibles, dans la collection Make my day ! éditée par StudioCanal. Une collection où les titres sont préfacés, en vidéo, par Jean-Baptiste Thoret… Dans le cas de Corneau (signataire de Police Python 357 ou Stupeur et tremblements), c’est donc le provocateur France Société Anonyme (sorti en 1974) qui nous est donné à découvrir. Et le chaos qui émane de ce film mérite bien une description, ou un essai de description : klaxons, crissements de pneus, explosions, cris ou tubes blues-rock joués à fond la caisse s’y disputent l’espace sonore, au fil d’un montage haché.

France Société Anonyme : geste punk avant l’heure

Raconté par un homme du futur, le récit semble vouloir peindre un climat d’urgence, dans la France du début des années 70. Une France figurée de façon réaliste, dans laquelle les situations prennent cependant une couleur extrême et métaphorique. Le narrateur de cette histoire délirante y tient le rôle principal : il est un grand trafiquant de drogue de la banlieue parisienne (Michel Bouquet, fringant mais déjà carré, incarne ce “héros” avec charisme). Le scénario donne à voir sa chute déjantée et irrépressible, qui s’explique par un fait : les grandes entreprises françaises ont décidé de “tout vendre aux Etats-Unis”.

Inclassable, parodique, furieux, punk avant l’heure : ce film est un peu tout ça, assurément (il fut d’ailleurs interdit aux moins de 16 ans lors de sa sortie dans les salles françaises). Mais il s’échine aussi à poser des questions, quant à la légalisation de la drogue sous toutes ses formes au sein d’un Etat, par exemple. Et la manière dont il s’approprie le genre du film noir pour le détourner fait sourire, de même que les références à la pop culture du début des années 70 en France. L’ennemie à abattre, pour le trafiquant en perdition, devient la représentante des Etats-Unis, flanquée d’une fille aussi hiératique et placide qu’elle. Et la galerie de personnages proposée permet de croiser, outre Roland Dubillard (dramaturge auteur des Diablogues) dans le rôle de l’acolyte tueur, les acteurs Daniel Ceccaldi, Roland Bertin, Philippe Clévenot, Gérard Desarthe, Francis Blanche (très amaigri, toujours fort en gueule), Yves Afonso ou Michel Vitold. Et même l’actrice Claudine Beccarie, star du film porno Exhibition.

France Société Anonyme est aussi, un peu malheureusement, un film qui répète trop ses effets. Malgré ses tentatives et son ton pas consensuel, il a trop recours aux mêmes procédés : univers sonore agressif, situations poussées jusqu’à l’outrance… Ce qui fait que les scènes finissent par un peu se ressembler, et les acteurs par ne jouer que sur une note (à l’image de Michel Bouquet, qui malgré son talent, finit par répéter la même attitude de séquence en séquence). Alain Corneau aurait, paraît-il, renié France Société Anonyme, ou du moins reconnu publiquement ses défauts nombreux. Lorsqu’on le découvre en 2019, on goûte tout de même, dans la belle qualité de l’édition conçue par StudioCanal (avec un travail sur le son net, et pas le moindre grain sur les images grises de la banlieue parisienne), sa maîtrise technique. Et ce malgré des imperfections qui le rendent parfois répétitif.

Hitler… connais pas : portraits de jeunes avant l’heure

Présenté en duo avec France Société Anonyme, le tout premier long-métrage de Bertrand Blier (Les Valseuses, Le Bruit des glaçons, Convoi exceptionnel) éblouit totalement, lui : il constitue un documentaire à la forme sobre et vivante, présentant face caméra une dizaine de jeunes qui auront vingt ans en l’année 1963, année de la sortie du film. Leur parole a toute la place pour exister : la caméra se contente d’enregistrer, en noir et blanc, leurs visages filmés en gros plan, sans aucun autre effet, sonore ou visuel, superflu. Ces témoignages se croisent, se répondent parfois (involontairement). On a tout le temps d’apprécier les intonations de voix en vogue à l’époque. Et les seuls procédés de montage amènent un humour bienveillant : lorsque certaines paroles sont dites, des “réactions” muettes des autres participants s’intercalent, parfois. Mais un carton en début de film nous a prévenu : ces jeunes ne se sont jamais croisés, au cours du tournage. On sait donc que ces effets distanciés ne servent donc à Bertrand Blier qu’à amener une pointe d’humour dans son film, afin de lui donner un peu de rythme en plus.

On se passionne donc pour cette oeuvre très subtile et pour ses protagonistes. Parmi ceux-ci, parmi ces jeunes interviewés : un jeune homme très carré et sérieux qui “fait des dossiers pour tout”, un autre qui vit dans un certain luxe et ne travaille pas, un garçon frêle qui s’est improvisé voleur, une fois, une jeune fille qui se montre attirante pour rester indépendante, ou encore une jeune fille mère célibataire… Tous accrochent les yeux et l’oreille. Esthétiquement très réussi, ce film apparaît donc également très prenant, côté rythme, de par la vérité des témoignages qu’il donne à suivre. Et l’on se dit qu’une deuxième vision peut aider à saisir encore plus ses sous-textes : parmi ceux-ci, le caractère assez inconnu, pour les institutions de France, de la jeunesse du pays. Une jeunesse qui allait hurler fort, cinq ans après la sortie de ce premier film de Bertrand Blier.

Des bonus qui dissèquent

On peut tout d’abord saluer la qualité du package proposé par StudioCanal, pour cette édition DVD, et son illustration – évocatrice, et bien dans les teintes des autres DVD de la collection, en même temps – très belle. Parmi les bonus proposés, on peut voir Alain Corneau, âgé de 32 ans, en interview, deux ans après la sortie de France Société Anonyme (alors qu’au même moment, la Cinémathèque Française honore Richard Fleischer, invité lui aussi à parler). Il y est questionné en tant que “jeune cinéaste français prometteur“, “évoqué dans une précédente émission par Bertrand Tavernier“. L’occasion pour lui de parler du statut du réalisateur en France, et de préciser : “l’illusion, c’est de penser qu’on peut avoir le même système de réalisation“, en France et aux Etats-Unis. Et d’ajouter, enfin : “nous, on souffre, alors que la culture populaire américaine, c’est le cinéma, donc il y a plus d’équilibre“, entre art et économie.

Pierre-William Glenn, directeur de la photo qui revient aussi, avec ses mots, sur France Société Anonyme, précise que lui et Corneau étaient dans une organisation trotskiste à l’époque. Et que le film parle de “la pornographie généralisée“, entre autres. Il ajoute aussi que “suite à l’échec public de cette première réalisation, Corneau a réussi sa mutation vers le film de genre“. Et il confie aussi que Corneau “adorait les films de Tobe Hopper” et avait une personnalité un peu proche de lui. On est impressionnés, enfin, par le témoignage de Jean-Claude Carrière, co-scénariste sur France Société Anonyme. Il y relate notamment sa sidération devant “le culot de l’entreprise, au départ“, et la façon brillante dont elle a été conduite.

Dans un entretien de cinquante minutes autour de son film à lui, Bertrand Blier raconte, lui, ses débuts. Lorsqu’on travaille, selon ses dires, comme assistant réalisateur, “on apprend plus sur des films fragiles” que sur des productions parfaitement conduites. A propos de son premier long-métrage, il confie qu’il n’y voulait “surtout pas de cinéma-vérité, mais du vrai cinéma, avec une vraie lumière…“. “Ce qui m”intéressait c’était d’avoir des personnages, donc je suis allé à la recherche de ces personnages” dans le réel, poursuit-il : il a découvert des éléments réalistes qui “[lui] ont servi pour tous [ses] films ensuite“. Et à propos des protagonistes qu’il a filmés, dans ce premier long, il explique : “ils tournent, ils ont un gros choc : il faut qu’ils oublient, ensuite“, d’où la nécessité de “ne pas rester copain“, avec ces non-professionnels. Tous ces entretiens sont intelligemment mélangés avec des extraits des films, aboutissant à une impression de dissection.

A voir, aussi, parmi ces bonus, un documentaire télé des années 60 empoignant de façon passionnante “le problème des rapports entre le cinéma et les jeunes” dans la France d’alors. Avec, au tout début, un médecin pédiatre de l’époque, fondateur du ciné-club d’Angers, qui déplore l’influence que le cinéma peut exercer au final sur ces jeunes : il décrit la naissance d’une “bande“, inspirée par le film Terrain vague (dirigé par Marcel Carné et sorti en 1960), où les cartes de membre devaient être signées avec du sang… Mais nous sont donnés à voir ensuite des gars tout à fait sympathiques qui “vont au cinéma en bande“, une pratique en vogue, à l’époque comme, peut-être, aujourd’hui encore.

La concision et la précision des préfaces, enfin, est impressionnante. Jean-Baptiste Thoret, dans sa préface vidéo sur le Blier, affirme ainsi qu’à l’époque, la jeunesse n’est pas un sujet, elle déroute les institutions. Et “le premier prisme pour l’aborder” est souvent “la jeunesse délinquante“, comme si les autres jeunes, quels qu’ils soient, portaient en eux leur vie d’adulte toute tracée, aux yeux des aînés qui les élèvent. Une constatation qui court un peu, en effet, dans les documentaires télés vus en bonus. Mais pas dans le long-métrage de Bertrand Blier, qui fait montre, lui, d’un œil plus curieux, et donc d’autant plus passionnant.

Au sein de la collection Make my day ! éditée chez StudioCanal, le volume France Société Anonyme / Hitler… connais pas est disponible depuis le 27 février (inclus : les films en format Blu-Ray et DVD).

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Visuels : visuel du DVD édité par StudioCanal

/ affiche d’époque de France Société Anonyme

/ photo d’Hitler… connais pas © André Michelin

Visuel Une : détail du visuel du DVD édité par StudioCanal

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Geoffrey Nabavian
Parallèlement à ses études littéraires : prépa Lettres (hypokhâgne et khâgne) / Master 2 de Littératures françaises à Paris IV-Sorbonne, avec Mention Bien, Geoffrey Nabavian a suivi des formations dans la culture et l’art. Quatre ans de formation de comédien (Conservatoires, Cours Florent, stages avec Célie Pauthe, François Verret, Stanislas Nordey, Sandrine Lanno) ; stage avec Geneviève Dichamp et le Théâtre A. Dumas de Saint-Germain (rédacteur, aide programmation et relations extérieures) ; stage avec la compagnie théâtrale Ultima Chamada (Paris) : assistant mise en scène (Pour un oui ou pour un non, création 2013), chargé de communication et de production internationale. Il a rédigé deux mémoires, l'un sur la violence des spectacles à succès lors des Festivals d'Avignon 2010 à 2012, l'autre sur les adaptations anti-cinématographiques de textes littéraires français tournées par Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Il écrit désormais comme journaliste sur le théâtre contemporain et le cinéma, avec un goût pour faire découvrir des artistes moins connus du grand public. A ce titre, il couvre les festivals de Cannes, d'Avignon, et aussi l'Etrange Festival, les Francophonies en Limousin, l'Arras Film Festival. CONTACT : [email protected] / https://twitter.com/geoffreynabavia

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