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Il n’y aura plus de nuit: Eléonore Weber refléchit les dangers de la caméra

Il n’y aura plus de nuit: Eléonore Weber refléchit les dangers de la caméra

09 February 2022 | PAR La Rédaction

Le documentaire d’Eleonore Weber sorti en 2020, récompensé au festival du Cinéma du réel et au programme de Best of Docs #3 qui se tient du 2 au 8 mars 2022, offre un regard préoccupant sur ce qui semble être le stade ultime de l’utilisation du matériel filmique : devenir une arme qui tue.

Par Maud Tenda.

Il n’y aura plus de nuit est un film composé de vidéos d’archives militaires des armées américaine et française en Afghanistan et en Iraq. Ces images sont filmées par des caméras thermiques depuis les hélicoptères militaires qui transforment les cibles humaines en simples tâches de couleurs. Le pilote ne voit jamais la mort, il ne voit que des corps qui brillent. Et l’on ne sait plus si la caméra est là pour filmer ou pour tuer, les pilotes aussi ne savent plus vraiment quelle est l’utilité de cet objet. Un des pilotes s’amuse même à un moment à regarder des enfants jouer dans un jardin, il les suit les plaçant toujours au centre de son viseur comme un metteur en scène.

A voir plus loin, voit-on mieux ?

Alors que Goethe encourage à se détacher du terrestre pour acquérir une plus grande conscience morale, les soldats du film voient leur morale diminuer au fur et à mesure qu’ils s’éloignent de la terre. Le film soulève un paradoxe important, nous pouvons maintenant voir très bien de loin et même dans le noir, mais voit-on pour autant mieux ? Les figures qui apparaissent dans leur viseur perdent leur humanité : Nous voyons des ombres lumineuses qui se déplacent comme des fantômes. Et peut-être sont-ils déjà morts à peine le viseur se pose sur eux. La mort est silencieuse, le pilote n’entend pas crier, il voit seulement les corps tomber : « Malgré la puissance des caméras Pierre V se plaint de ne pas très bien voir, ou plutôt il se plaint qu’il voit trop et pas assez à la fois ». Le regard numérique remplace le regard humain, le soldat dans son hélicoptère a troqué son œil humain pour un œil mécanique qui empoisonne son esprit.

La caméra, objet dangereux

Le matériel filmique semble être arrivé à la dernière étape de son évolution, nous avons réellement l’impression en regardant ces images que c’est effectivement la caméra qui tue car on ne voit pas le pilote déclencher son arme à feu. « Ces images ne sont pas faites pour être regardées » nous dit la voix off, nous avons le sentiment de regarder des images interdites, voire maudites. La caméra devient synonyme de mort, et nous venons à nous inquiéter lorsque le pilote observe une famille en train de jouer au ballon dans un parc. La facilité de la mise à mort nous fait perdre toute confiance en l’homme de l’hélicoptère, comme si on lui avait donné un pouvoir trop grand pour lui entre les mains.
La caméra devient toute puissante, notre droit à se dérober est supprimé, et nous pensons également à une forme de punition divine, de foudroiement qui s’abat sur les hommes. La voix off précise qu’il y a ceux qui continuent à voir avec des lampes torches et ceux qui voient tout, on prend alors conscience de cette hiérarchie basée sur la vue, les puissants sont devenus ceux qui voient le plus. Le film souligne le danger d’un regard gouvernemental trop puissant prêt à se brûler les ailes et rappelle ; toujours selon Goethe ; l’importance de “ planer à sa juste place”.

Il n’y aura plus de nuit, un film d’Éléonore Weber, 75’, France, Sortie en salle le 16 juin 2021. A voir sur universciné.
visuel : Perspective films

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