En DVD, le Cosi courbe et dansant de Keersmaeker
Tandis qu’à l’Opéra national de Paris reprend cette rentrée le Cosi fan tutte créé la saison dernière par la chorégraphe belge Anne Teresa de Keersmaeker au Palais Garnier, Arthaus Musik sort le dvd de cette expérience singulière et passionnante.
Chez Keersmaeker, la danse est musique tant la chorégraphe développe des liens étroits avec tous les styles, de Bach (Partita) à Steeve Reich (Rain, Drumming) qu’elle respire par le mouvement. En acceptant de mettre en scène Cosi fan tutte de Mozart, dernier opus de la trilogie Da Ponte, ATDK relevait un défi de taille qui faisant montre d’autant d’audace que d’exigence. Une finesse d’analyse caractérise aussi bien la lecture qu’elle fait de l’œuvre que sa direction des interprètes.
Alors qu’elle se refuse catégoriquement de mettre en scène de manière illustrative ou littérale l’opéra plutôt tiré du côté de l’abstraction minimaliste, tout dans son geste atteste d’une compréhension totale du livret et d’une écoute absolue de la musique. Mêlant intelligence et sensibilité, elle signe un spectacle fidèle à son vocabulaire. Ainsi, on découvre au sol d’une scénographie immaculée et aérée, l’habituel traçage de cercles enchâssés les uns dans les autres formant une multiplicité de courbes comme autant de trajets à emprunter par des protagonistes dédoublés. Chanteurs et danseurs, voix et corps se rejoignent et n’échappent à l’errance vertigineuse des sentiments incertains. La réalisation suit avec mobilité le déchaînement sensuel et instable des personnages mozartiens, pris dans les méandres de la confusion des sentiments.
Une brillante troupe composée de jeunes chanteurs très à l’avenant et des fidèles danseurs de la compagnie Rosas s’adonnent aux chassés-croisés parfois frénétiques, parfois plus las, de Kersmaeker. Ils restituent aussi bien la légèreté que la gravité de l’œuvre décidément inclassable. Ainsi, Ginger Costa-Jackson assure avec panache le caractère bouffe et rebelle de Despina, la servante survoltée. Une Dorabella partagée entre la pimpante Michele Losier et la danseuse Samantha Van Wissen aux géniaux mouvements de bassin et spasmes électriques, fait duo avec la lumineuse Fiordiligi de Jacquelyn Wagner et Cynthia Loemij. Côté garçons, on retient la juvénilité séduisante du bondissant Philippe Sly tandis que Frédéric Antoun se montre plus tendu et Paulo Szot assez effacé mais très en voix. Philippe Jordan dirige un orchestre enlevé, parfois trop rapide pour laisser ce déployer la fine mélancolie de l’œuvre, mais il donne, après de ternes Noces, un Mozart pétillent et vivant.